PARIS
Une toile de Victor Tardieu, peintre et ancien directeur de l’École des beaux-arts de l’Indochine, présentée dans l’exposition du Musée Cernuschi « Du fleuve Rouge au Mékong. Visions du Vietnam », serait un faux selon la petite-fille de l’artiste. D’après l’expert Jean-François Hubert, cette toile appartiendrait à la commissaire invitée, comme la plupart des autres œuvres exposées.
PARIS - « Hanoï. Victor Tardieu. Daté 1922 ». Accrochée à l’entrée de la deuxième salle de l’exposition « Du fleuve Rouge au Mékong. Visions du Vietnam » qui se tient actuellement au Musée Cernuschi, à Paris, l’huile à dominante marron provient d’une « collection particulière », indique le cartel. Elle a été acquise en mai 2012 chez Horta Auctions (Belgique) pour 9 000 euros. « C’est un faux et je suis en mesure de donner les raisons stylistiques et esthétiques de mon opinion », dénonce Alix Turolla-Tardieu, descendante directe du peintre et unique détenteur du droit moral de l’artiste. Même avis tranché de la part de Jean-François Hubert, expert en art du Vietnam et senior consultant auprès de grandes maisons de ventes internationales. « Ce tableau est un faux, il n’a pas d’histoire. Ce n’est pas un sujet de Tardieu. Ce n’est pas sa patte, pas son style, pas ses couleurs, pas son format, pas ses matériaux ! », martèle-t-il.« Je trouve curieux que l’on ait cherché à m’évincer », poursuit Alix Turolla-Tardieu, qui a eu vent de l’organisation de cette exposition au mois de décembre 2011. « J’attendais que l’on me contacte », poursuit la petite-fille du peintre, qui n’a reçu aucune demande d’autorisation de reproduction du tableau qui figure pourtant dans le catalogue de l’exposition. Reproduit en pleine page et accompagné de l’agrandissement d’un détail, Hanoï n’est pas mentionné dans les crédits photographiques répertoriés à la fin du catalogue.
Une place de choix dans le catalogue
Présente lors du vernissage de l’exposition auquel elle n’avait pas été conviée par le musée, Alix Turolla-Tardieu découvre le tableau Hanoï, qu’elle juge immédiatement être un faux. « Ne voulant pas créer de scandale en présence des autorités, j’ai attendu le lendemain du vernissage pour alerter la directrice du musée, Mme Shimizu, laquelle m’a d’abord répondu qu’elle allait immédiatement le faire décrocher. Elle m’a rappelée quelques heures plus tard, me demandant de préciser par écrit ma demande. Ce que j’ai fait dès mon retour chez moi en Italie, par e-mail et par courrier les 24 et 25 septembre », explique la petite-fille du peintre, précisant qu’elle a reçu un courriel de confirmation de sa demande signé de Mme Shimizu le 26 septembre. Cette dernière rétorque qu’elle n’a été contactée par lettre recommandée par Alix-Turolla-Tardieu que le 8 octobre et qu’elle lui a demandé le 12 octobre des preuves de ce qu’elle avance, « étant entendu que si le tableau est un faux, elle le ferait retirer immédiatement ».
Le fait que la détentrice du droit moral de l’œuvre ait été tenue à l’écart de cette exposition est d’autant plus surprenant que Victor Tardieu, directeur de l’École des beaux-arts de l’Indochine qu’il a créée à Hanoï en 1924 et dirigée jusqu’à sa mort en 1937, occupe une place de choix, tant dans l’histoire de l’art pictural moderne du Vietnam qu’au sein du catalogue. Cité dans plusieurs des textes de l’ouvrage édité par Paris Musées, il y fait l’objet d’un article long de près de 25 pages – soit le quart du catalogue – intitulé « Victor Tardieu et ses élèves » et signé Loan de Fontbrune. « Ainsi, dès 1923, Victor Tardieu avait conçu un plan d’ensemble cohérent, qu’il avait pu presque entièrement mener à bien en l’espace de treize ans à peine. » Après sa disparition, plusieurs des élèves de l’école furent « des professeurs admirés et célèbres tant au Vietnam qu’en France. Certains d’entre eux, comme Lê Phô, Mai Trung Thu et Vu Cao Dàm devinrent pour le public français les maîtres de la peinture vietnamienne », conclut Loan de Fontbrune, reprenant, allègrement et sans citer ses sources, des passages du texte intitulé « Victor Tardieu et l’École des beaux-arts de l’Indochine » publié dans le catalogue de l’exposition « La fleur du pêcher et l’oiseau d’azur. Arts du Vietnam » qui s’est tenue en 2002 au Musée royal de Mariemont (Belgique).
Dans un tel contexte, pourquoi les commissaires de l’exposition n’ont-elles choisi de montrer dans leurs « Visions du Vietnam » que deux tableaux de Victor Tardieu : Entrée des tombeaux à Hué, jolie petite huile sur panneau de bois de 1924, et notre Hanoï controversé ? « Pourquoi ne m’ont-elles pas sollicitée alors que j’ai déjà prêté à plusieurs reprises des tableaux de mon grand-père ? », s’interroge Alix Turolla-Tardieu. Même interrogation du côté des héritiers du peintre Vu Cao Dàm. Pourquoi les commissaires de l’exposition n’ont-elles pas frappé à la porte de Paulette Lê Phô, la veuve de Lê Phô, « grand maître de la peinture vietnamienne », plutôt que de présenter au public des œuvres moyennes de ce peintre ? Elle se serait alors empressée de leur prêter des toiles majeures de Lê Phô comme L’Âge heureux de 1930 que le peintre conservait précieusement dans sa propre chambre à coucher.
Mais le tableau controversé attribué à Victor Tardieu appartient à Yves de Fontbrune, ancien marchand d’art, et à son épouse Loan de Fontbrune, soutient Jean-François Hubert. « Près de 70 % des œuvres accrochées dans cette exposition leur appartiennent. Yves de Fontbrune a voulu faire du « blanchiment culturel » en exposant tous ses tableaux, beaux ou laids, de façon à les valoriser et leur donner une qualité musée. Les œuvres exposées sont souvent très médiocres, c’est du remplissage », dénonce l’expert.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Un faux au Musée Cernuschi ?
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Victor Tardieu - Hanoï (1922) - Huile sur toile - 77,5 x 54,8 cm - Collection particulière
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°377 du 19 octobre 2012, avec le titre suivant : Un faux au Musée Cernuschi ?