Le marché a besoin de chair fraîche pour nourrir l’appétit des collectionneurs. Mais la légitimation de ces jeunes artistes passe par une généalogie bien hasardeuse.
Aujourd’hui, les gens connaissent le prix de tout et la valeur de rien », écrivait Oscar Wilde. Il ne croyait pas si bien dire. Sans bagage historique, portés sur le buzz plus que sur la connaissance ou le regard, les nouveaux acheteurs font monter la cote d’artistes dont l’intérêt reste à prouver.
Pour répondre à la boulimie, au désir pressant de changement, comme dans les collections de prêt-à-porter, le jeunisme constitue un élixir quasi magique aujourd’hui. Le galeriste Jack Tilton n’a-t-il pas déclaré au New York Times : « Désormais, nous les prenons six ans plus tôt, comme la ligue de basket », en mettant le « grappin » dès l’école sur les jeunes pousses de demain.
« Les artistes doivent savoir résister aux pressions »
Être le premier sur le coup. Le marché de l’art n’est guère différent de celui de l’emploi. Dans l’un comme dans l’autre, les jeunes diplômés priment sur les seniors. L’heure est à la fraîcheur et pas à la maturité, encore moins à la maturation.
La tendance a été lancée malgré elle par la manifestation du P.S.1, centre d’art new-yorkais, avec « Greater New York » en 2000, panorama de la jeune création dans cette ville. La deuxième édition, en 2005, a provoqué un déchaînement des galeries et un bouche-à-oreille hystérique sur les 160 noms sélectionnés.
Banks Violette, né en 1973, avait été sélectionné pour le « Greater 2 », il est déjà super bankable alors même qu’il produit peu d’installations. En novembre dernier, une de ses sculptures s’est envolée pour 117 600 dollars chez Phillips. Cette œuvre avait tout juste été achetée en 2005 par l’Italien Robert J. Tomei pour 45 000 euros à la foire de Bâle auprès de la galerie Rodolphe Janssen. « On sent dans certaines œuvres qu’elles ne sont pas restées assez longtemps dans l’atelier. Aussi dur que cela soit, les artistes doivent savoir résister aux pressions. S’ils explosent à vingt-cinq ou trente ans, ils peuvent s’inquiéter de ce que sera leur vie à cinquante ans », indique Amy Cappellazzo, spécialiste de Christie’s. Les maisons de ventes ont beau jeu de dénigrer une attitude qu’elles ne cessent de conforter…
Des parallèles hasardeux pour justifier les estimations
Pour renforcer la crédibilité des artistes contemporains, elles n’hésitent pas à établir des parallèles spécieux avec l’art ancien dans leurs luxueux catalogues. Des correspondances souvent aussi fausses qu’absconses. Quel point commun peut-il bien exister entre le New Hoover Quick-Broom de Jeff Koons et Adam et Ève de Lucas Cranach ? Entre May Day d’Andreas Gursky et le Jardin des délices de Hieronymus Bosch ? Les rédacteurs des catalogues de vente s’échinent à offrir une pseudo-assise historique aux œuvres contemporaines, une légitimité leur permettant de justifier des estimations délirantes.
Les mises en perspective sont certes les bienvenues dans un contexte où l’art contemporain s’achète parfois sans jugement, comme le sac Vuitton revu et corrigé par les cerises de Takashi Murakami. Mais arrêtons de faire passer des vessies pour des lanternes en prétendant qu’un Roy Lichtenstein aurait observé Bronzino ! Maurizio Cattelan est plus l’héritier de Marcel Duchamp que de Robert Rauschenberg malgré le parallèle formel entretenu par Christie’s en 2005 entre L’Autruche de l’Italien et le Monogram de l’artiste pop américain.
Les parallèles sont d’ailleurs à double tranchant. Celui, pertinent, entre Marlene Dumas et Edvard Munch pourrait faire pencher la balance du côté de l’artiste norvégien. Car pourquoi devrait-on acheter un Marlene Dumas au prix d’un Munch ? Inversement, faisons-nous l’avocat du diable. Un artiste est-il forcément mauvais parce que ses prix flambent ? Pas sûr. Des créateurs comme Andro Vekua ou David Noonan restent intrigants, même si leur cote monte en flèche.
La correction que tous les sages attendent de pied ferme tarde encore à venir. Elle seule apporterait un peu de clarté dans ce maquis. Elle viendra plus durablement de l’histoire de l’art, qui inscrira dans ses tablettes le nom des heureux élus. Mais ce n’est pas pour tout de suite.
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Un casting de plus en plus précoce
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°601 du 1 avril 2008, avec le titre suivant : Un casting de plus en plus précoce