Avec Riga en Lettonie, Umeå succède à Marseille au titre de « Capitale européenne de la culture ». Ce label récompense les efforts fournis par cette ville côtière du nord de la Suède, pour l’enrichissement de son offre culturelle. L’année 2014 est l’occasion de rendre hommage à la culture Sami, dernier grand peuple autochtone d’Europe dispersé en Scandinavie et en Russie.
UMEA - Seize ans après Stockholm, c’est Umeå, une cité du Norrland quasi inconnue en Europe, qui a été sélectionnée, supplantant ses rivales suédoises Göteborg, Uppsala et Lund, pourtant mieux pourvues. Cette ville de 118 000 habitants, perdue au milieu de vastes étendues sauvages et de petits villages côtiers, est « la » métropole du nord de la Scandinavie.
Pourquoi Umeå ? Parce que la culture est depuis quarante ans un des moteurs du développement de la ville. Après la création de l’Université en 1965, et l’ouverture de l’opéra en 1974, un accord de développement culturel a été passé avec le gouvernement suédois au milieu des années 1970. Résultat, une nouvelle salle de concert et un théâtre ont vu le jour en 1981, un musée d’art moderne et contemporain en 1982. Réputée pour sa large palette de festivals dont celui international de jazz, Umeå est célébrée également pour sa scène musicale diversifiée et métissée.
C’est une des villes suédoises qui monte. Sa population a plus que doublé en moins de cinquante ans, portée par la forte croissance de son université (34 000 étudiants) et son puissant cluster culturo-scientifique. Ici, les étudiants de la faculté d’architecture, de l’Institut de design et de l’école des beaux-arts côtoient les chercheurs de l’université de biotechnologie et du pôle des sciences agricoles. Les étudiants vivent en bonne intelligence avec ces 2 000 scientifiques spécialistes du biomédical, de la biologie moléculaire, de la génomique, de la génétique forestière et autre physiologie des plantes.
« Co-création » et « open source » ont été les deux devises clés d’« Umeå 2014 ». Depuis sa désignation en 2009, plus de 80 réunions publiques ont été organisées pour permettre aux habitants de donner leur avis sur les projets retenus et de présenter leurs propres propositions et suggestions.
Sur les pas des Samis
Ce n’est pas le patrimoine architectural de la ville, sans grand charme mis à part quelques maisons en bois de style norrlandais, qui permettra d’attirer le public, ici à 650 km au nord de Stockholm. Mais celui-ci n’a pas pour autant été négligé. La ville s’est préparée en « relookant » sa gare et son opéra, en ouvrant un musée dédié à la guitare dans un bel immeuble du centre-ville. De nouveaux hôtels et un nouveau centre commercial baptisé Utopia sont sortis de terre. Courant 2014, Väven, un quartier créatif, verra le jour autour d’une nouvelle maison de la culture et d’un musée d’histoire de la femme.
« Umea, you & me. C’est toute la population qui a porté le projet », martèle Marie-Louise Rönnemark devant plusieurs dizaines de milliers de personnes massées sur le parc de l’hôtel de ville. Installée sur un monumental podium érigé sur les eaux gelées du fleuve Umeälv, la mairesse a été, le 1er février, l’un des maîtres de cérémonie des célébrations d’ouverture d’Umeå 2014. Au programme : chants et danses du peuple Sami, embrasement de bûchers géants, féeries de lumières illuminant les maisons en bois accrochées aux rives du fleuve, le tout clôturé par un feu d’artifice plutôt modeste.
La cérémonie et les festivités d’ouverture, beaucoup moins flamboyantes et déjantées que celles, encore inégalées, de Lille 2004, ne manquaient pourtant pas de charme. Le centre-ville enneigé était féerique avec ses rues pavoisées de sculptures et de flambeaux de glace, ses feux de joie, faisceaux laser et autres vidéos poétiques dansant sur des murs de neige.
Au programme de cette année de festivités : quarante festivals (jazz, hardcore, pop, punk, rock, blues, jazz et classique), 80 événements et une centaine de projets.
Le fil directeur des célébrations Umea 2014 ? Les huit saisons du calendrier Sami, du nom du dernier grand peuple autochtone d’Europe. Unis par une même langue finno-ougrienne, les Samis compteraient quelque 70 000 individus dispersés, au-delà du cercle polaire, sur quatre pays : en Suède (20 000 personnes), Norvège (40 000), Finlande (6 000) et Russie (2 000) où ils sont regroupés sur la presqu’île de Kola. Peuple sans État, longtemps vivant de chasse, de pêche et d’élevage transhumant de rennes, les Samis ne sont plus qu’une petite minorité à vivre du produit de la vente de leurs bêtes (viande) et de leur artisanat (vêtements traditionnels en peau de renne, parures, couteaux en corne, skis). La plupart se sont intégrés et sont devenus sédentaires. Victimes d’une politique d’assimilation conduite par les états nordiques, ils luttent pour voir respecter leur droit à la terre et à l’eau, et pour la défense de leurs langues et de leur culture.
« Nous voulons décoloniser les esprits, choisir et construire nous-mêmes notre futur », insiste Lars-Anders Baer, ancien président du parlement Sami suédois institué en 1993. Pourquoi tant d’égards pour les Samis de la part du comité d’organisation ? Faut-il y voir la volonté d’affirmer la singularité d’Umea en capitalisant sur les atouts folkloriques de ces communautés autochtones ? Ou bien le souhait de porter le message écologique de ces peuples gardiens d’une « mémoire », d’un respect de la terre et d’un « savoir-être ensemble » dont la redécouverte pourrait être une des clés de notre futur ?
De Leonor Fini à Uli Sigg
L’art et la culture Sami sont présents sur de nombreux lieux d’exposition. Au Musée du comté de Västerbotten – du nom de la province qui abrite Umea –, perché sur une colline, au milieu des sapins et des bouleaux, on peut découvrir un ensemble de pierres Sami, vieilles de 4 000 à 6 000 ans et ornées de peintures ocre rouge représentant des élans.
C’est dans une aile de ce musée qui évoque l’histoire de la région qu’a ouvert, début février, le Centre de photographie documentaire Sune-Jonsson. Ce photographe et documentariste suédois (né en 1930 et décédé en2009), peu connu à l’étranger, a été l’objet en Suède d’une soixantaine d’expositions monographiques. Une rétrospective passionnante lui est consacrée. Celle-ci retrace, images et textes à l’appui, de manière ethnographique, la vie simple et frugale, quasi autarcique, des populations rurales du Västerbotten. Ses images en noir et blanc témoignent de leur combat quotidien contre les éléments. Et du rapide déclin de ces communautés paysannes emportées par les « trente glorieuses ».
Le Parc de sculptures Umeladen abrite, à ciel ouvert, une quarantaine d’œuvres d’artistes suédois et internationaux parmi lesquels Louise Bourgeois et Anish Kapoor.
Un bel espace du nouveau Musée des arts visuels (Bildmuseet), bâtiment de sept étages bardé de bois et planté au bord du fleuve, sera en revanche dédié aux Samis tout au long de l’année 2014. Au programme : huit expositions consacrées chacune à un artiste différent, une pour chaque saison Sami. La monographie consacrée à Katarina Pirak Sikku (jusqu’au 20 avril), mariant peintures de paysages et photographies documentaires, laisse perplexe tant le propos est confus.
Deux étages plus haut, place à une grande dame du surréalisme, Leonor Fini (1908-1996), peintre, décoratrice de théâtre et écrivaine. On y découvre une belle mais trop brève sélection de peintures mettant en scène de jeunes hommes androgynes, alanguis face à des femmes souveraines, quelques livres illustrés, des décors et costumes, empreints de son univers onirique.
À partir du 8 juin (et jusqu’au 12 octobre), le Bildmuseet consacrera la totalité de ses espaces d’exposition à une des plus grandes collections d’art contemporain chinois, celle d’Uli Sigg, avant que celle-ci ne parte s’enraciner, à Hongkong au M Museum for Visual Culture.
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Umeå 2014 sous le signe des Samis
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Abonnez-vous dès 1 €L'église Helena Elisabeth fait partie du musée de plein-air à Gammlia - Umeå - Suède - © Photo Mikael Lindmark - 2007 - Licence CC BY-SA 2.5
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°407 du 14 février 2014, avec le titre suivant : Umeå 2014 sous le signe des Samis