À la tête des Musées de Blois de 1999 à 2005, Thierry Crépin-Leblond dirige depuis deux ans le Musée national de la Renaissance, au Château d’Écouen. Il commente l’actualité.
Cette année, le Musée national de la Renaissance célèbre son trentième anniversaire. Quelle direction souhaitez-vous donner à cet établissementl ?
Il s’agit pour nous d’accéder à une vitesse de croisière avec une politique d’exposition régulière, et ce, en sachant qu’il n’y a pas d’espace dévolu aux seules expositions. Il faut donc arriver à des thèmes qui soient en prise avec les collections et la Renaissance. Le décor du XVIe siècle et les collections dans leur variété permettent d’aborder des sujets moins conventionnels que ceux d’un musée trop traditionnel. Nous souhaitons, par exemple, rendre une place au livre, évoquer la littérature et l’histoire. Ce musée facilite l’innovation. Au sein des collections – essentiellement d’art décoratif –, il y a, par exemple, un ensemble de céramiques d’Iznik qui ne relève pas de la Renaissance européenne à proprement parler, mais permet de montrer la grande influence de l’Orient sur l’Occident à la Renaissance. D’ici deux ou trois ans, une exposition-dossier sur François 1er et Soliman le Magnifique abordera ce sujet. D’un point de vue muséographique, nous sommes contraints par notre atout : le décor du château. Il n’est pas possible de faire d’Écouen ce qu’est Fontainebleau, le mobilier des Montmorency n’existant plus. Quant aux fragments du décor de la chapelle, ils ont été remontés au Château de Chantilly. L’occasion pour nous de développer un partenariat avec ce dernier en présentant, à l’automne 2008, une exposition sur Marie Stuart.
Vous avez également un partenariat avec le Musée national du Moyen Âge pour une exposition en octobre sur « L’art des frères d’Amboise ». Comment concevez-vous ce type de partenariat ?
C’est quelque chose de naturel que la rencontre humaine a parfois facilité, parfois gêné… Si le Musée de Cluny s’appelle maintenant Musée du Moyen Âge, c’est parce qu’il y a eu un Musée de la Renaissance. Les collections étaient les mêmes au XIXe siècle, donc nous avons tout intérêt à nous tendre la main. Les chefs-d’œuvre des collections royales françaises sont au Musée du Louvre, pas à Cluny ou Écouen. Nous sommes là pour proposer autre chose. Notre nouveau visuel, basé sur la statuette de Daphné de Jamnitzer, montre que le Musée de la Renaissance a une collection d’exception en matière d’orfèvrerie allemande, un sujet à développer.
L’année a aussi été marquée par l’acquisition de deux tapisseries de la Tenture Diane de Poitiers…
Je crois que cela n’arrive qu’une fois dans la vie d’un conservateur ! Cette grande tenture tissée sans doute à l’initiative d’Henri II pour Diane de Poitiers et qui a orné le château d’Anet avait été vendue au XVIIe siècle. Trois pièces sont actuellement conservées aux États-Unis et une seule se trouvait en France, au Musée départemental des Antiquités de Rouen, avant que ces deux tapisseries ne réapparaissent. Il nous fallait agir vite et éviter l’engouement de collectionneurs et musées étrangers. La Direction des musées de France (DMF) et le cabinet du ministre ont joué le jeu d’une acquisition par l’État au lieu de faire appel à un mécénat, ce qui aurait pris plus de temps. Cette acquisition vient combler une lacune dans nos collections. Nous projetons également une autre acquisition importante dans le cadre d’un appel à mécénat : celle du pavement du château de Polisy (Aube), d’une surface de 28 m2 (1545), réalisé en France par un atelier de faïence d’après Sebastiano Serlio pour François de Dinteville, évêque d’Auxerre. Labellisé trésor national, le pavement intéresse déjà un mécène.
Combien de visiteurs accueillez-vous par an et avez-vous des objectifs sur ce point ?
Actuellement, nous accueillons 60 000 visiteurs annuels – la moyenne pour un musée de province –, là où il faudrait atteindre entre 100 000 et 120 000 visiteurs. L’objectif est donc de doubler la fréquentation actuelle. Aller au-delà comporterait un danger pour le monument et les collections. Il nous faut également sortir de ce cercle vicieux de l’événementiel et de l’exposition-spectacle dans lequel sont plongés les musées et dont nous sommes tous coupables. Il faut faire comprendre qu’une restauration, une acquisition, un coup de projecteur sur une collection mal connue, constituent un événement. Les collections du Musée de la Renaissance, alors au Musée de Cluny, étaient citées partout au XIXe siècle jusqu’à ce qu’on les mette en réserve en 1900. Il faut les redécouvrir. De même, le château d’Écouen ne fait pas partie de l’inconscient collectif de la Renaissance, alors qu’il est plus important que certains châteaux de la Loire. Il faut l’y remettre, ce qui implique d’étudier le bâtiment. Très prosaïquement, 120 000 visiteurs annuels visitent le parc d’Écouen, mais seule la moitié franchit les portes du château. Il y a donc un travail d’animation et d’accueil à réaliser.
Pensez-vous justement que la gratuité, ardemment prônée par le Président de la République dans sa lettre de mission adressée au ministre de la Culture, soit une bonne solution ?
Mon opinion attend d’être forgée. On nous cite comme expérience celle des musées de la Ville de Paris qui ont, effectivement, vu le nombre de visiteurs augmenter, de même que leurs recettes sur les ventes en librairie. Mais, cette gratuité s’est aussi accompagnée d’une stagnation des moyens de fonctionnement et d’expositions. La gratuité devrait être expérimentée d’ici le début de l’année prochaine dans certains musées nationaux, avec un Comité de suivi au ministère de la Culture et à Matignon. Nous ferons sûrement partie de l’aventure, mais, rappelons que, déjà, 70 % de nos visiteurs bénéficient d’entrées gratuites. Une décision pareille participera peut-être à convaincre les plus réticents. Il faut d’ailleurs prendre en considération tous les paramètres : venir à Écouen représente déjà un coût de transport non négligeable ; y ajouter celui d’un billet d’entrée peut être rédhibitoire. La vraie question est : doit-on et peut-on le faire ? La lettre de mission adressée à Christine Albanel dit clairement qu’il faut gagner le pari de la démocratisation culturelle et aussi réaliser des économies sur les crédits de fonctionnement, ce qui n’est pas une tâche aisée.
Quelle est votre vision du mécénat et quel est, selon vous, le rôle que doit jouer le conservateur sur ce point ?
Nous sommes face à deux problèmes. Tout d’abord, il faut éviter un grand écueil qui est l’égoïsme. Des musées comme le Louvre ou Orsay peuvent se permettre de constituer une équipe ad hoc, mais le danger c’est qu’ils ne se battent que pour eux. Il est nécessaire que les musées nationaux se serrent les coudes. Dans notre situation, il est habituel de faire appel à la DMF et à la mission mécénat du ministère de la Culture pour diffuser nos projets. Une fois que le contact est trouvé avec leur aide, c’est effectivement au conservateur et à ses collaborateurs de savoir emporter le morceau. Et c’est là que nous arrivons au second problème : qu’est-ce que le mécénat en France ? Traditionnellement, c’est un geste philanthropique, mais depuis ses débuts, il y a une volonté d’exercice du pouvoir. Quand on parle de l’action de François 1er, ce n’est pas le goût personnel de l’homme qui est en cause, c’est son action publique qui implique le mécénat. En France, on doit continuer à développer des dispositifs fiscaux qui sont un vrai encouragement légitime. Mais il ne faut pas s’abuser, payer ses impôts avec du mécénat n’est pas totalement désintéressé. Un donateur, lui, n’attend rien en retour. En tant que conservateurs et collectivités locales, nous devons convaincre les mécènes de participer à la vie artistique de notre pays à un moment où l’ordre donné depuis l’Élysée est la démocratisation culturelle. Le conservateur ne peut pas s’en abstraire, mais ne peut travailler seul. Je crois beaucoup au rôle du réseau. Dans le cas de l’acquisition du tableau de Poussin pour le Musée des beaux-arts de Lyon, le Louvre a montré qu’il savait œuvrer pour le bien de la collectivité et non pour son intérêt propre. Le Louvre est avant tout un musée national et non une entreprise, il faut se garder d’assimiler l’un à l’autre. Je ne pense pas d’ailleurs que les dirigeants du Louvre soient dans cet état d’esprit, c’est peut-être une exploitation trop rapide de leur action qui conduit à ce type de discours…
À ce sujet, quel regard portez-vous sur le Louvre Abou Dhabi ?
Il s’agit d’un projet qui dépasse le Louvre. C’est un accord entre pays et d’ailleurs les accords Abou Dhabi seront présentés prochainement devant le Parlement. Le Louvre a été demandé non pas en tant que musée mais en tant que partie psychologique du patrimoine national. Pour nous, collectivement, Abou Dhabi représente un défi : le défi d’arriver à montrer que l’excellence dont on nous gratifie, nous sommes capables de la réaliser en dehors du territoire français. Il s’agit avant tout de concrétiser cette demande. Il va falloir faire et remplir un musée, dans le respect des œuvres. Ce qu’a demandé Abou Dhabi, c’est une étiquette, à nous de montrer ce que nous sommes capables d’y mettre derrière.
Justement n’est-ce pas choquant de ne demander qu’une étiquette ?
Non, il s’agit d’un raccourci psychologique. Nous cherchons trop – et c’est un défaut typiquement contemporain – à rejeter la nuance. La nuance c’est que les émirats ont réclamé plusieurs choses : pouvoir mettre en exergue le nom du Louvre, mais aussi importer l’excellence des musées français, ce qui va bien au-delà du Louvre. C’est aussi l’occasion pour nous d’aider à rompre avec une notion trop étriquée de chef-d’œuvre et de montrer la variété de nos collections...
Mais de montrer à qui ?
C’est là tout l’intérêt. Dans la rotation des expositions permanentes comme des expositions, il faut que cela permette de faire aboutir des projets qui sont dans les cartons de tout le monde, mais que, faute de moyens et de mécènes, on ne parvient pas à mettre en œuvre. Si on joue le jeu en ce sens sans se raidir sur une espèce de « tout ou rien », on peut arriver à beaucoup. Chaque œuvre sera négociée au cas par cas. Nous sommes de toutes les manières déjà dans l’obligation de devoir obtenir des prêts prestigieux et donc d’en accorder. Rien n’est plus dangereux pour nous que de rester figer. Il s’agit d’acquérir un état d’esprit collectif pour que les choses avancent de manière positive. Ce n’est pas exempt de risques, mais ce n’est pas un abîme automatique. Il ne s’agit pas seulement d’argent. C’est l’occasion de concrétiser des projets et d’une véritable mise en réseau, où le prêt d’œuvres permet de refaire de nouvelles salles et de faire circuler des expositions, à Abou Dhabi mais aussi sur le territoire national. L’agence des musées, le Louvre et le ministère doivent coopérer sans jouer chacun pour soi.
Quelles expositions ont récemment retenu votre attention ?
J’ai été à la fois déçu et ravi par l’exposition de l’Albert and Victoria Museum à Londres sur le décor intérieur de la Renaissance italienne. Ravi en tant que professionnel, parce qu’il a mis en valeur quantité d’œuvres qu’on ne voyait pas ensemble, mais en même temps la muséographie ne m’a pas plu en tant qu’amateur.
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Thierry Crépin-Leblond, directeur du Musée national de la Renaissance à Écouen
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°264 du 7 septembre 2007, avec le titre suivant : Thierry Crépin-Leblond, directeur du Musée national de la Renaissance à Écouen