« Mon médium ce sont les gens et les lieux, je ne cherche pas à établir des records. »
Réputé pour les rassemblements de gens dénudés dans des mises en scène photographiques, Tunick s’est construit une belle notoriété depuis ses débuts officiels en 1994. Mais, il a débuté avec des portraits auxquels il s’adonne encore.
On a tous déjà vu une de ses « installations » comme il les appelle : des hommes et des femmes nus comme des vers allongés sur l’asphalte de Times Square ou à un coin de rue de Montréal dans cette lumière caractéristique du petit matin. Flotte donc autour de lui une image trouble. Car Tunick entretient une lecture équivoque de ses œuvres. Il sait que les corps nus serrés évoquent un génocide et incarnent la quintessence de la protestation pacifique. Mais pour lui, il est surtout « l’outil » qui exprime la vulnérabilité et la pureté.
Ses parents étaient des négociants en vin à New York
L’homme est doux, rond, loin de la provocation qu’on lui prête, et parfois presque un peu naïf à l’instar de certaines de ses images. Il affiche la jubilation d’un enfant à l’idée de la photographie, pardon de « l’installation » qu’il est en train de diriger dans un vignoble de Fuissé pour le compte de Greenpeace. Une association inédite jusque-là pour le lobby vert.
Après une première collaboration en Suisse en 2007 avec des images impressionnantes sur le glacier d’Aletsch, Tunick met en scène des anonymes et volontaires (chacun se voit ensuite remercier par un petit tirage de l’artiste) pour parler du réchauffement climatique. On le sait peu mais la hausse des températures menace l’industrie du vin. Et puis c’est un peu une histoire personnelle : « Ma famille était dans le négoce de vin à New York et possédait une boutique réputée. » On peut s’étonner toutefois de ce choix moins spectaculaire que le glacier suisse. « Je ne suis pas multi-millionnaire, cela me coûte très cher de faire une photo, la plupart de mes projets sont des commandes d’institutions artistiques mais Greenpeace m’offrait la possibilité de travailler sur des sites dont j’avais toujours rêvé. » Le résultat : une mise en scène fraternelle où les sept cents participants se tiennent par la main dans les vignes [voir p. 22].
Aux États-Unis, cinq procès pour attentat à la pudeur
Mais tout l’inspire. On sent un personnage sensible, à fleur de peau, affecté ce matin-là par la lecture du journal révélant les activités nucléaires iraniennes. Il irait bien faire une image à ce sujet à son retour à New York. Pourtant, la ville où il a peaufiné ses études photographiques, et l’administration Giuliani en particulier dans les années 1990, ne l’a pas ménagé. Cinq fois il sera arrêté et amené devant les tribunaux. Attentat à la pudeur, incitations à la pornographie, tout aura été essayé pour arrêter les invasions pacifiques de Tunick. Parce que ces images rappellent la mort, la fragilité de l’existence ?
Et même s’il nie la course au chiffre – « Le but n’est pas de mettre des gens partout et n’importe comment et d’établir des records » –, il ne peut renier l’impact du nombre : à Mexico en 2007, sa plus grosse installation, ils étaient dix-huit mille. Mais si Tunick suscite de vives réactions, c’est d’abord sa bonhomie de père de famille qui frappe. Il est un homme qui s’enthousiasme à chaque nouvelle opportunité. Pour quelqu’un qui a commencé par photographier des touristes dans un hôtel, il a depuis capté plus de cent mille corps qui n’avaient rien à cacher.
Biographie
1967
Naissance à Middletown, New York.
1990
Diplômé de l’International Center for Photography de New York
1994
Première arrestation au Rockefeller Center
2005
Organise sa première installation en France durant la Biennale de Lyon, 1 493 nus.
2007
18 000 personnes nues à Mexico City.
2009
Les 3 et 4 octobre, 700 anonymes se sont portés volontaires à Fuissé, en France, à l’appel de Greenpeace.
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Spencer Tunick
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°618 du 1 novembre 2009, avec le titre suivant : Spencer Tunick