L’année passée a été marquée par la création de nombreux nouveaux salons, tels que le Salon du collectionneur Paris ou Frieze Art Fair. Les foires historiques doivent revoir leur stratégie. En attendant des fusions ?
La schizophrénie du monde marchand a marqué l’année 2003. Les acteurs du marché dénoncent le trop-plein des foires, d’autant plus malvenu que la faible trésorerie des galeries et la raréfaction des œuvres rend périlleuse l’inscription dans les grands-messes habituelles. Après l’atonie relative du premier semestre, trois nouvelles manifestations ont vu le jour à l’automne, dans un climat délétère de cannibalisation : le Salon du collectionneur Paris, créé par le Syndicat national des antiquaires, le Pavillon des antiquaires d’automne, organisé par la Société d’organisation culturelle, alias le duo Patrick Perrin-Stéphane Custot, et Frieze Art Fair, foire londonienne d’art contemporain orchestrée par le magazine éponyme. Le Salon du collectionneur et le Pavillon des antiquaires d’automne avaient opté en septembre, à une semaine d’intervalle, pour deux démarches opposées : d’un côté un salon cloisonnant les spécialités sur le modèle de la Tefaf, à Maastricht, de l’autre un brassage généraliste. Tous deux ont bénéficié d’un succès d’estime, l’un pour la qualité de ses sections d’art asiatique et de céramique, l’autre pour le panache de ses grands stands à la décoration soignée. Cette concurrence n’est pas sans rappeler celle qui, à un autre niveau, eut lieu en 2002 entre le Salon d’art tribal et Kaos-Parcours des mondes qui a conduit l’année suivante à la disparition définitive du premier au profit du second.
L’apparition parfois cavalière de ces nouveaux salons impose une psychanalyse aux foires à l’identité délitée. La mise sur orbite de Frieze Art Fair en octobre a bouleversé le calendrier des foires d’art contemporain. Les grands marchands ont d’emblée encouragé sa verve pétillante. Les collectionneurs américains ont salué l’allégeance des Britanniques en matière politique et esthétique en dépensant leur pécule sur ses stands. Un coup de semonce pour la FIAC et Art Cologne, qui cherchent à conforter leur position. Après le succès commercial quasi miraculeux de la première et la vigueur plus contrastée de la seconde, les deux foires amorcent un nouveau virage. Nouvelle direction à Art Cologne avec la nomination en septembre de Gérard Goodrow, transfuge de Christie’s. Même décision à la FIAC avec l’arrivée aux commandes en novembre de l’ancienne galeriste parisienne Jennifer Flay. La Turinoise Artissima devra peut-être aussi songer à se redéfinir. Bien que de meilleure qualité que Frieze selon les observateurs, elle aussi a subi le contrecoup de la foire londonienne où il était plus « fashion » d’acheter. Reste également à voir l’issue de la Berlinoise Art Forum, plus glissante que jamais, ou d’Art Paris. Les foires doivent désormais compter avec une donnée introduite par Art Basel Miami Beach et récupérée par Frieze : l’événementiel. Une dimension festive qui fait défaut à la plupart des foires, d’Art Brussels à Art Paris.
De ce constat en demi-teinte, la reine mère Art Basel fait figure d’oasis. En juin, dans un climat encore empreint de doute, tellement anxieux que les organisateurs orientaient leur communication vers des œuvres inférieures à 5 000 dollars, les transactions sont allées bon train, vers des sommets de prix bien plus échevelés. Une performance sur laquelle ne s’étalonne aucune autre foire, pas même sa petite sœur Art Basel Miami Beach. En s’autoproclamant meilleure foire américaine, cette dernière a certes mis à mal l’Armory Show de New York, beaucoup plus tiède en 2003, mais sa deuxième édition en décembre fut plus sage. Sous les paillettes, les transactions étaient moins fébriles qu’en 2002 et les niveaux de prix raisonnables. Difficile toujours pour les exposants européens de faire le choix entre New York, réputé comme le centre gravitationnel des affaires, et Miami.
Renforcer le moderne
Si Art Basel jouit toujours de sa fortune légendaire, tel n’est pas le cas de la Tefaf, l’autre grand baromètre annuel, côté antiquaires. Inaugurée en mars à quelques jours des premières frappes en Irak, la foire a souffert de la défection de la clientèle américaine. Malgré sa qualité, saluée par tous les observateurs, elle s’est révélée « calme », litote qu’affectionnent les antiquaires pour cacher leur morosité. Difficile de mesurer l’incidence du climat politique sur un salon puisque, trois jours après la clôture de Maastricht, le Salon du dessin à Paris a fait florès, drainant les collectionneurs américains qui avaient fait faux bond à la Tefaf. Est-ce parce que le Salon du dessin est un salon de spécialité, capable de fédérer les amateurs chevronnés, qu’il a si bien tiré son épingle du jeu ? Un raccourci rapide, lorsqu’on voit la difficulté éprouvée par le Salon XXe Siècle spécialisé dans le design, qui n’aura pas lieu en juin. Pourtant le XXe siècle a le vent en poupe. Il s’infiltre dans toutes les manifestations, de la plus ouatée comme Maastricht, qui a encore renforcé cette année sa section moderne, au Pavillon des antiquaires, tant dans les éditions de mars que de septembre. Le Salon XXe Siècle a souffert d’un mauvais calendrier, la Pentecôte rognant le succès auquel il pouvait prétendre avec son aréopage de galeries étrangères de haut niveau. Il a aussi pâti du départ de plusieurs exposants qui lui ont préféré l’éclectique Pavillon des antiquaires de mars. Une tendance qui s’était aggravée cette année avec la décision de Barry Friedman d’opter pour le Pavillon des antiquaires au détriment du Salon XXe, dont il était une tête de pont. Malgré l’absence de ses deux piliers américains, Edwynn Houk et Paula Cooper, et un rythme d’affaires plus lent les premiers jours, Paris Photo n’a pas flanché. Loin s’en faut ! Il ne réussit toutefois pas à séduire les grandes pointures de l’art contemporain. Les salons de spécialités accusent peut-être leurs limites. Nulle surprise que la Bâloise Cultura, réputée pour sa brillante section archéologique, ait choisi en novembre de renforcer les autres secteurs longtemps à la traîne, ouvrant elle aussi la voie à l’art plus moderne.
Si les foires ont longtemps constitué la force de frappe des marchands face aux ventes publiques, la pléthore actuelle est plutôt un gage de faiblesse et le signe d’un changement radical de pratique des galeries. Les marchands en mal de clientèle ne savent d’ailleurs plus à quel saint, pardon à quelle foire, se vouer ! Les stands se transforment en présentation récurrente de stock plutôt qu’en révélation des dernières trouvailles. Dans ce contexte surchargé, il y a fort à parier qu’à l’avenir plusieurs salons, complémentaires dans l’esprit, fusionneront. Lassitude et pragmatisme obligent ! Quant à Paris Photo, il n’a qu’à bien se tenir. La concurrence pointe de toutes parts. Sur les brisées de Frieze, le magazine Pluk lance en mai la première foire « Photo London ». L’Armory Photography Show, enterrée au bout d’une édition, menace aussi de renaître.
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Salons : foisonnement avant fusions ?
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°185 du 23 janvier 2004, avec le titre suivant : Salons : foisonnement avant fusions ?