Le Musée du quai Branly expose des chefs-d’œuvre provenant de cette région formée par le triangle d’Hawaï, de la Nouvelle-Zélande et de l’île de Pâques.
Pour son deuxième anniversaire, le Musée du quai Branly, à Paris, accueille des chefs-d’œuvre de l’art polynésien, pièces originaires des îles d’Hawaï, de l’île de Pâques (Rapa Nui), des îles Marquises, de Nouvelle-Zélande (Aotearoa), des îles Tuamotu, des îles de la Société, des îles Australes (Polynésie française), des îles Cook et de la Polynésie occidentale (Fidji, Tonga, Samoa et les îles voisines). L’exposition a été conçue par le Sainsbury Centre for Visual Arts – dépendant de l’Université d’East Anglia à Norwich en Angleterre –, où elle a d’abord été présentée en 2006, avant de rejoindre, dans une version réduite, le British Museum à Londres. La majorité des objets proviennent en effet de l’éminente institution londonienne, la France n’en possédant que très peu – sur les 240 pièces réunies, une seule appartient à la collection du Quai Branly.
La dernière manifestation en date consacrée au sujet dans l’Hexagone remonte à plus de trente ans. C’était en 1972, au Musée de l’Homme ; depuis, le regard sur ces objets a considérablement évolué. « La sélection des œuvres s’est révélée très facile ; il y a tellement de belles pièces. Cela dit, nous les avons surtout choisies en fonction de leur intérêt historique », explique Steven Hooper, commissaire de la manifestation avec Karen Jacobs. Et d’avertir le visiteur : « Il ne s’agit pas de chercher à comprendre une culture polynésienne de type classique et statique, tout simplement parce qu’elle n’a jamais existé », mais bien « d’expliquer des situations culturelles évolutives » de peuples multiples ayant des racines linguistiques et des ancêtres communs. Les œuvres ne sont pas cloisonnées par ère géographique, mais regroupées sous de grandes thématiques (« La mer », « La terre », « Le temple », « Collecter », « Construire le divin ») pour mettre en exergue les riches échanges réalisés dans cette zone de l’océan Pacifique. En outre, il est très difficile de préciser le lieu d’origine et la date exacte de fabrication des objets. Datées entre 1760 et 1860, les œuvres aujourd’hui révélées au public ont été ramenées en Europe par le célèbre capitaine Cook lors de ses trois voyages, effectués entre 1768 et 1780, et par d’autres navigateurs comme Georges Vancouver, William Bligh ou Jules Dumont d’Urville.
Prouesses techniques
Réalisés dans des matériaux bruts, souvent d’aspect anthropomorphe, les statuettes, « fétiches », parures, tambours, pagaies, massues, proues de pirogues, appuie-tête ou plats servaient, en général, aux échanges : des offrandes pour s’attirer les faveurs des dieux, des échanges entre les groupes de différents statuts, entre la population et les chefs, puis avec les Européens, débarqués au XVIIIe siècle. C’est par le biais de ces objets que les Polynésiens ont noué des relations avec les officiers, marins, marchands, voyageurs, colons, évangélisateurs, scientifiques et artistes occidentaux. Les artisans des îles se sont approprié à leur tour les nouveaux matériaux et outils importés à bord des navires pour les incorporer à leurs propres créations. Même si ces relations n’ont pas échappé à l’écueil du colonialisme (avec une conversion forcée à la chrétienté), et ont profondément bouleversé l’économie de la région, il semblerait, selon Steven Hooper, que les objets collectés ont été acquis principalement dans des conditions équitables, en tout cas avec l’accord des insulaires. En témoigne le Plat aux deux personnages donné au capitaine Charles Clerke par un chef de Kaua’i en janvier 1778. Exécuté dans un bois très précieux, il illustre les prouesses techniques dont pouvaient faire montre les artisans polynésiens, tout comme ces Effigies en plumes confectionnées sur des structures de vannerie tressée. L’une d’elles comporte des incrustations de cheveux humains – les cheveux rasés sur la tête des défunts de haut rang pouvaient être offerts en sacrifice. « Même les objets du quotidien ont de la valeur pour les Polynésiens, tout dépend du contexte d’utilisation », précise Karen Jacobs. Cet hameçon d’apparence simple a ainsi tout autant vocation à incarner les manifestations divines que ce personnage en pied de Nouvelle-Zélande figurant probablement un ancêtre. Pour sa consécration, le chef, le guerrier ou l’aîné d’un clan était enveloppé d’une étoffe composée d’écorces, de nattes, de diverses capes, et était couvert d’un casque ou d’une coiffe en plumes. On le revêtait également de pectoraux richement garnis à l’image de celui en rotin, fibre de coco, plumes, poils de chien, dents de requins, étoffe d’écorces et fibres végétales, provenant des îles de la Société. Citons également les pectoraux des îles Fidji réalisés en ivoire de cachalot et en nacre. La plupart des statues étaient, elles aussi, enveloppées et ligotées. Ainsi, le personnage Mangareva en bois dur – rare statue ayant survécu aux destructions iconoclastes des années 1830 –, aujourd’hui offert aux visiteurs dans sa nudité, portait un turban et était entouré d’offrandes lorsqu’il siégeait dans son temple. Destinés à influencer et à incarner la force des dieux, les objets ont aussi vocation à montrer la maîtrise des hommes sur leurs milieux naturels. « On peut affirmer sans exagération que l’art polynésien de cette période est l’une des traditions artistiques les plus importantes et les plus méconnues au monde. Les œuvres de ces sculpteurs, de ces fabricants d’étoffes et de ces créateurs de culture à partir de matières brutes méritent d’être reconnues. » L’exposition et sa publication ont, à n’en pas douter, permis de franchir un cap dans cette voie.
Jusqu’au 14 septembre, Musée du quai Branly, 37, quai Branly, 75007, Paris, tél. 01 56 61 70 00, www.quaibranly.fr, tlj sauf lundi 11h-19h et 21h le jeudi, vendredi et samedi. Catalogue, éditions RMN, 288 p., 39 euros, ISBN 978-2-915133-84-4.
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Sacrée Polynésie
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Abonnez-vous dès 1 €Commissaires de l’exposition : Steven Hooper et Karen Jacobs, respectivement directeur et chercheuse au Sainsbury Research Unit for the Arts of Africa, Oceania and the Americas à l’université d’East Anglia, en Angleterre
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°285 du 4 juillet 2008, avec le titre suivant : Sacrée Polynésie