La rétrospective « Arman » organisée par le Centre Pompidou jusqu’au 10 janvier souligne le ferment pictural d’une œuvre dominée par l’objet.
Comment interpréter une exposition de feu l’artiste Arman (1928-2005), décidée précipitamment par le Centre Pompidou en juin 2009 ? Comme une culpabilité à retardement envers un Nouveau Réaliste mal aimé en France, épinglé pour son train de vie flamboyant et sa surproduction décorative ? En ne lui consacrant que 1 000 mètres carrés, contre le double pour Yves Klein ou Pierre Soulages, l’institution se contente du minimum syndical pour cette réhabilitation tardive, douze ans après celle organisée avec brio par Daniel Abadie à la Galerie nationale du Jeu de paume, à Paris.
Mieux vaut toutefois tard que jamais. Pratiquant à raison le tri sélectif, le commissaire de l’événement, Jean-Michel Bouhours, a éludé toute pièce postérieure à 2000, privilégiant les années 1955-1975, période faste où l’artiste niçois pose et déploie son vocabulaire partagé entre l’accumulation et la destruction.
Scandé en sept sections thématiques, l’accrochage met l’accent sur les allers-retours incessants d’Arman, comme son mobilier calciné des années 1960 réinterprété en bronze en 1985. L’objectif ? Souligner que ce créateur ne fut pas dénué de fulgurances, même dans les années 1990. La démonstration n’est cependant pas toujours probante. À la coupe de réfrigérateurs et de caddys assemblés sous le titre Du producteur au consommateur, on aurait préféré une œuvre autrement plus pertinente sur la question du consumérisme, la Chute des courses, cascade de chariots de supermarchés exposée en 1998 au Jeu de paume. Le parallèle opéré entre une installation murale de machines à écrire de 1962 et une vitrine horizontale emplie d’autres machines de 1997 ne fonctionne pas. La première joue sur une archéologie de la consommation et une imminence de la chute. Plus aseptisée, l’installation de 1997 se contente d’un alignement monocorde et propret.
Le parcours général respire d’ailleurs une certaine élégance froide, figeant le créateur dans un amidon esthétique. « Les artistes professionnels dont je fais partie ont tous la tentation du geste gracieux », concédait Arman à l’historien de l’art Otto Hahn, tout en précisant : « Cela m’arrivait de considérer mon travail sous l’angle de la beauté, mais je me méfiais de ce sentiment. »
Si les poubelles de la fin des années 1950 nous renvoient à notre propre décomposition, cela est moins évident pour celles réalisées dans la première moitié des années 1970, fixées dans la résine, technique neutralisant la souillure. Pétri d’ambiguïtés, le sculpteur oscille entre la provocation, comme avec la voiture dynamitée de 1963, et l’ordre, perceptible dans ses coupes méthodiques d’instruments de musique et son choix progressif d’objets neufs et non plus usagés. À rebours du parti pris de Daniel Abadie qui consista à l’époque à centrer Arman sur la question de l’objet, Jean-Michel Bouhours insiste sur la « tripe picturale » de l’artiste niçois. Il ouvre ainsi l’exposition avec les Cachets des années 1950, tampons encreurs appliqués sur des tableaux, et trois Allures d’objets, traces d’un objet enduit de peinture et projeté sur la toile. Dans la salle dédiée aux Colères et aux Coupes, une étagère de bouilloires coupées de 1962 rappelle insensiblement une nature morte de Giorgio Morandi. Des accumulations de brosses et de tubes de peinture enfoncent le clou en fin de parcours. On croit même deviner un trompe-l’œil dans la dernière salle avec l’installation The Day After (1985), salon bourgeois en bronze restituant l’effet du bois calciné.
Si Arman rêvait de devenir peintre dès l’âge de 17 ans, se référant à Van Gogh et Jackson Pollock, très vite, sous l’influence d’Yves Klein, il s’est débarrassé de la gangue picturale pour s’approprier l’objet. Non sans nostalgie. Ainsi nous avait-il confié avant sa mort en 2005, « je suis un peintre qui fait de la sculpture ». Mais à la question d’Otto Hahn : « Qu’est-ce qui est le plus important chez vous, la peinture ou la sculpture ? », l’artiste répliquait : « Le lieu commun de mon travail, c’est l’objet. Ma spécificité réside dans la transformation de cet objet. »
Au-delà de l’éclairage sur les phases les plus fécondes d’Arman, l’exposition a le mérite de replacer l’artiste dans une certaine contemporanéité. La radicalité de certaines œuvres reste intacte, à l’instar de l’appartement défoncé intitulé Conscious Vandalism (1975) ou du Fauteuil d’Ulysse calciné en 1965. La coupe en 1967 de la maquette en bois d’une voiture Renault, aux éléments enchâssés dans du Plexiglas, n’est enfin pas sans rappeler les animaux découpés trente ans plus tard par un certain Damien Hirst…
Jusqu’au 10 janvier 2011, Centre Pompidou, galerie 2, niveau 6, place Georges-Pompidou, 75004 Paris, tél. 01 44 78 12 33, tous les jours sauf mardi 11h-21h, le jeudi jusqu’à 23h, www.centrepompidou.fr. Catalogue, 368 pages, 44,90 euros.
Commissaire : Jean-Michel Bouhours
Nombre d’œuvres : 120
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Revoir Arman
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°331 du 24 septembre 2010, avec le titre suivant : Revoir Arman