LYON
Don de la veuve de Picasso ou opération de blanchiment d'œuvres volées ? Les époux Le Guennec ont à nouveau dû justifier, mardi devant la justice, quarante ans de secret autour des 271 œuvres du maître gardées dans leur garage.
Si c'était à refaire ? "Je referais pareil", a assuré à la barre de la cour d'appel de Lyon Pierre Le Guennec, ancien artisan de 80 ans, tout dévoué à "Madame", comme il appelle Jacqueline, la dernière épouse de Picasso. Sa femme Danielle Le Guennec, 76 ans, a pour sa part entretenu "15 ans de fidélité" avec la veuve de Picasso, qui lui "téléphonait deux fois par jour".
Déjà condamné à deux reprises pour le recel de ces dessins, lithographies et autres collages, le couple assure désormais, après avoir soutenu en première instance que le don avait été fait du vivant de Picasso et avec l'accord de ce dernier, que les oeuvres leur ont été remises après la mort de l'artiste.
Un changement de version "pour nos enfants, pour qu'ils n'aient pas d'ennuis", s'est justifiée Mme Le Guennec, en fauteuil roulant.
"Madame m'a demandé de mettre chez moi des choses" au moment où éclatait un conflit avec les héritiers du peintre, a déclaré son mari. Plus tard, Jacqueline lui aurait demandé de rendre ces sacs, sauf un pour lequel elle aurait dit : "Gardez-le, c'est pour vous". Le couple a gardé le secret sur "ce magnifique cadeau" pendant près de quarante ans. "C'était peut-être un secret qu'on gardait dans notre coeur; c'était à nous", a ajouté la septuagénaire.
"Origine délictueuse"
Qualifiant leur deuxième version de "suspecte", l'avocat général Philippe de Monjour a réclamé à la cour de confirmer la condamnation des deux prévenus à deux ans de prison avec sursis. "Les époux Le Guennec avaient connaissance de l'origine délictueuse des oeuvres. Ils n'en parlent même pas à leurs propres enfants", a estimé le magistrat. "La thèse de l'oubli de ce trésor ne tient pas et dire que cela était gardé à titre de simple souvenir n'est absolument pas crédible", a-t-il ajouté.
Les oeuvres avaient refait surface lorsque M. Le Guennec s'était présenté, en 2010, au fils de l'artiste, Claude Ruiz-Picasso, afin d'en faire authentifier une partie, dont un carnet de 91 esquisses, le tout datant de 1900 à 1932. Les héritiers avaient aussitôt porté plainte.
"Si j'avais été intéressé, je serais allé voir un expert ou une galerie pour les vendre", a fait valoir M. Le Guennec, assurant ne pas savoir "ce que ça vaut".
Du côté des héritiers, l'avocat de Claude Ruiz-Picasso, Me Jean-Jacques Neuer, a relevé que ces retraités aux revenus modestes n'avaient "pas vendu une seule oeuvre en plus de trente ans" et que celles entreposées dans un garage pendant ces dizaines d'années ne portaient "pas une trace de mérule, ce champignon qui attaque le papier". "L'explication fournie est absurde en fait et en droit", a-t-il ajouté, suspectant "des marchands (d'art) derrière tout ça". "On attend que les témoins problématiques aient disparu pour sortir du bois" et tenter d'obtenir l'authentification des esquisses auprès de l'administration Picasso, sans lequel "ces oeuvres valent zéro", insiste le conseil de Maya Ruiz-Picasso, Me Olivier de Baecque. "Si on s'en tient à l'argumentation de M. Le Guennec, Jacqueline a commis un vol en faisant échapper ces biens à la succession", a-t-il ajouté.
L'avocat de la défense, Me Éric Dupond-Moretti, a résumé ce procès à une "affaire de lutte des classes", où il n'est "pas concevable qu'on ait pu faire un tel cadeau à ces gens modestes". "Ils sont restés quarante ans avec ces oeuvres sans les vendre, c'est bien qu'ils n'en estimaient pas leur valeur", a déclaré le conseil des époux Le Guennec à la presse à l'issue de l'audience. A moins qu'elles aient eu une valeur sentimentale ? "Sans doute." Décision le 19 novembre.
Cet article a été publié par l'AFP le 24 septembre 2019.
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Recel d'œuvres de Picasso : le secret de « cœur » de l'ex-électricien et sa femme
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