Le cru 2007 du prix de l’Équerre d’argent a provoqué une vive controverse chez les architectes. Et révélé incidemment que ce prix avait usurpé sa réputation.
BORDEAUX - L’année 2007 se sera achevée sur une bien étrange controverse ébranlant – une nouvelle fois — le milieu de l’architecture. Par le biais d’une pétition, une centaine d’architectes a en effet ouvertement manifesté son courroux contre la principale récompense attribuée à une réalisation française : le prix de l’Équerre d’argent, organisé tous les ans depuis 1983 par le puissant groupe Moniteur, leader hexagonal de la presse d’architecture. Très remontés, ces architectes sont allés jusqu’à décider de boycotter l’une des publications phare du groupe, l’annuel AMC. Cette revue compile tous les ans le meilleur de la production architecturale française et a contribué à révéler au public plusieurs de ces contestataires. Que s’est-il donc passé pour que se dresse un front si virulent contre un prix réputé qui n’offre comme seule récompense que la gratification de l’avoir reçu ?
Retour en arrière. Le 22 octobre 2007, le Moniteur décerne rituellement son prix de la meilleure réalisation de l’année. À l’issue d’un scrutin serré, mettant en compétition notamment Rudy Ricciotti, Frédéric Borel ou Jacques Ferrier, le choix du jury s’est porté sur le nom de deux architectes méconnus, y compris de la critique, Yves Ballot et Nathalie Franck, auteurs de la réhabilitation et l’agrandissement d’un groupe scolaire à Bordeaux, où est installée leur petite agence. Face à un auditoire médusé, l’un des membres du jury et responsable du groupe Moniteur s’embrouille et lance la phrase par laquelle le scandale arrive : le prix récompenserait l’architecture « du quotidien » plutôt que la « gesticulation » architecturale. Termes ô combien maladroits, surtout au vu de la liste des architectes nommés – aucune star réputée pour ses mouvements de manches ; mise en opposition caricaturale qui suscite la consternation des architectes. Rudy Ricciotti en tête. Donné favori, ce dernier aurait finalement perdu à une voix près...
Rancœurs déplacées ou ire justifiée ? La polémique se déchaîne, alors que personne, hormis quelques Bordelais, n’a visité le bâtiment désigné. Personne, pas même les douze membres du jury, détail (si l’on peut dire) que même ses détracteurs ont omis de signaler. Qualifié abusivement de « Goncourt » de l’architecture, le prix de l’Équerre d’argent est en effet attribué après projection d’un court film présentant chaque bâtiment en compétition. L’équivalent, en somme, d’un Goncourt sur synopsis, d’une Palme d’or sur bande-annonce. Curieuse méthode, pour qui prétend promouvoir l’architecture, que de juger sans pouvoir appréhender physiquement quelques composantes majeures de l’architecture, la mise en espace et le rapport au site. Il est vrai que jadis étaient organisés des concours de façades...
Le résultat final est donc encore plus catastrophique que prévu. Outre cette division de la profession, qui sera sûrement vite oubliée, c’est le sentiment d’une profonde injustice qui domine. Car c’est une fois le projet lauréat visité que le prix laisse un goût amer : il distingue un bâtiment mal jugé, hissé au rang de manifeste sans en avoir la stature. Situé sur la rive droite de la Garonne, dans le quartier de la Bastide, le groupe scolaire Nuyens appartient à l’ordinaire de la production architecturale. Pour Ballot et Franck, construire le groupe scolaire Nuyens a consisté à faire avec l’existant – des bâtiments anciens habilement intégrés ; penser aux usagers, ici des enfants, qui pourront s’adonner à la rêverie en regardant par les larges baies le jardin botanique ; créer de la ville dans un quartier en pleine recomposition...
Le résultat est une architecture de la sueur, mais sans génie, construite à bas coût quitte à en oublier les finitions. Les architectes ont dû faire face à la défaillance des entreprises – entraînant une incroyable série noire – et se battre contre un maître d’ouvrage pinailleur. « Une architecture faite avec les moyens du quotidien plus qu’une architecture du quotidien », rectifie Yves Ballot. Si la réponse est probante sur certains points, tel le maniement de la grande échelle du site, elle est aussi maladroite et inutilement complexe à trop vouloir ouvrir l’école sur la ville. Primer cette architecture qui fait le quotidien du travail des agences aurait pu être louable. Encore aurait-il fallu que le jury argumente avec pertinence son choix. Quant à l’image donnée par l’architecture française, elle est une nouvelle fois désastreuse.
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Quand l’Équerre vacille
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°273 du 18 janvier 2008, avec le titre suivant : Quand l’Équerre vacille