Pierre Bernard, initiateur de l’Atelier de création graphique, est aussi l’un des fonda-teurs de Grapus (1970-1990), collectif qui marquera l’histoire du graphisme et la façon de penser les images. Retour sur les enjeux graphiques de ce printemps-là.
L’œil : Où étiez-vous en mai 68 ?
Pierre Bernard : À Paris, à l’École des arts décoratifs. J’avais déjà terminé mes études, mais je les avais reprises pour me spécialiser dans le cinéma d’animation.
L’œil : Comment l’atelier populaire des Arts-Déco s’est-il mis en place ?
P. B. : Dès que l’école a décidé de se mettre en grève, juste après les mouvements du Quartier latin. On s’est alors très vite demandé ce qu’on allait faire, et l’idée de la sérigraphie est venue. L’une des premières affichettes disait : « L’art pour qui ? Pour quoi ? » en lettres typographiques dessinées à la main.
L’œil : Comment travailliez-vous aux Arts-Déco ?
P. B. : Nous vivions quasiment sur place. En tout cas les vingt premiers jours de mai. Il y avait sans arrêt des demandes politiques qui venaient des assemblées générales. On discutait ensuite de la nécessité de faire une affiche et de la forme qu’elle pouvait prendre.
Pour le reste, c’était avec les moyens du bord. On imprimait sur des cœurs de rouleaux d’affiches qu’on allait chercher dans les imprimeries de journaux. Nous avions même monté un système au quatrième étage
des Arts-Déco. Dans le couloir, on imprimait le rouleau – sans le couper – et on faisait pendre le papier dans la cage d’escalier jusqu’au sous-sol pour qu’il sèche. Et en bas, on le reprenait pour le couper !
L’œil : À quels codes de la représentation de la contestation ces affiches empruntaient-elles le plus souvent ?
P. B. : Certainement à un mélange de dessins de presse et de rhétorique politique. Mais je dirais que pour l’essentiel, ces affiches empruntent surtout à la caricature du XIXe siècle. Et comme les moyens étaient pauvres – nous n’étions ni dans la gravure ni dans la lithographie –, la sérigraphie donnait un aspect plus violent et plus expressif à ces caricatures. Le tout associé à la vitalité de la contestation, c’est sans doute ce qui fait la qualité de ces images.
L’œil : Qu’en est-il resté dans votre propre pratique du graphisme ?
P. B. : J’avais déjà passé un an en Pologne et j’avais été très marqué par l’affiche polonaise. Pour moi, faire des affiches pour la politique faisait immédiatement écho avec ce que j’avais aimé faire en Pologne. C’est-à-dire des images de rues, faites pour parler aux autres. Évidemment, là, c’était une occasion formidable.
Mais ça ne m’a graphiquement pas appris grand-chose. En revanche, ça m’a donné le désir fou de continuer à en faire ! La fondation de Grapus, quelques années après, a à voir avec cette expérience, cet éblouissement-là : réfléchir politiquement le matin, produire une image l’après-midi et la coller le soir.
L’œil : Y a-t-il un avant et un après-Mai 68 au regard de l’histoire du graphisme ?
P. B. : Je serais tenté de dire non. La meilleure preuve en est que la plupart des bonnes affiches de l’époque ont été faites par des peintres ou des graphistes qui avaient déjà un passé. Mai 68 est plutôt un passage…
L’œil : S’il fallait ne garder qu’une de ces affiches placardées sur les murs de Paris ?
P. B. : Je retiendrais celle qui montrait la silhouette de De Gaulle sous laquelle était écrit : « La chienlit c’est lui ! »
Mais ce ne sont pas les images qui m’ont le plus impressionné. C’est la parole. 68 était une sorte de forum permanent, et les affiches n’étaient au fond que le médium du développement de ce forum.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Pierre Bernard : « 68 était un forum, les affiches son médium »
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°602 du 1 mai 2008, avec le titre suivant : Pierre Bernard : « 68 était un forum, les affiches son médium »