Cet homme-là pourrait être un compagnon tant il aime le travail bien fait, l’ouvrage accompli. L’œil et la main qui travaillent, sans la moindre fascination pour l’outil, la machine. Il y a aussi de la fidélité chez lui. Une indéfectible fidélité aux amis du début tels Philippe Favier ou Denis Laget, à ceux venus plus tard comme Vincent Corpet, Marc Desgrandchamps ou Djamel Tatah qu’il collectionne, met en page, édite à satiété. Philippe Ducat est graphiste et éditeur. Ses terrains d’aventures favoris : le catalogue d’exposition et le livre d’art. Deux disciplines dans lesquelles il excelle et qu’il éclaire en citant Ernst Gombrich : « Ce qui est vu dépend de ce que l’on sait. » A l’évidence, lorsque Philippe Ducat s’attaque à un catalogue, que l’exposition soit monographique ou thématique, il sait de quoi il retourne tant sa science à mettre en valeur, sa capacité à s’effacer devant son propos, son goût de la justesse sont constants. Du plus récent, Picasso érotique au Jeu de Paume, à celui qui lui mit « le pied à l’étrier », le Gaston Chaissac à l’Abbaye de Sainte-Croix en 1993, en passant entre autres par un Victor Segalen en forme d’invitation à tous les voyages pour la BN, le somptueux Album pour le Musée de la Mode et du Textile ou l’étonnant Les sept péchés capitaux pour le Centre Pompidou... à chaque fois la rencontre se fait, la magie opère. Et ceci sans parler des plus modestes au profit des amis, de ceux qu’il collectionne, Marc Le Mené ou Agathe May. « Je ne suis pas un artiste, je suis là pour accompagner », affirme Ducat, né à Saint-Etienne en 1958, diplômé de l’Ecole des Beaux-Arts de sa ville en section communication visuelle, « monté » à Paris en 1982 et qui, 15 ans durant, travaillera dans les plus grandes agences de publicité, tout en mettant en pages des catalogues et éditant ses propres livres d’art. Sa maison d’édition, association loi 1901, qu’il a baptisée Le Massacre des innocents en hommage au tableau de Nicolas Poussin de Chantilly, édite depuis huit ans un livre
par an, tiré à 120 exemplaires et entremêle à chaque fois un auteur et un artiste qu’il aime. Ainsi Sade et Corpet, Darien et Laget, Cervantès et Agathe May, Boccace et Desgrandchamps... Soit, entre autres, Les 120 journées de Gomorrhe, Le voleur, Le retable des merveilles, Le supplice des cruelles... Des petites merveilles d’équilibre et de justesse à commander chez l’éditeur. « Je hais l’idée de professionnalisme, affirme Ducat. Je ne suis pas un professionnel, je suis un amateur ». De l’amateur, Littré dit que c’est « celui qui a le goût vif ». Ce goût vif, Philippe Ducat en est pétri. Compagnon, une fois encore, qui s’attache sans cesse à ce que le graphisme ne se voie pas, à ce qu’il soit exclusivement au service de l’auteur, de l’artiste. En épigraphe du livre qu’il édite, conjointement signé par Marc Le Mené et Antonio Manetti, La chambre mentale, figure cette phrase de Kafka : « Il n’est pas nécessaire que tu sortes de ta maison. Reste à table et écoute. N’écoute même pas, attends seulement. N’attends même pas, sois seulement silencieux et seul. Le monde viendra s’offrir à toi pour que tu le démasques. Il ne peut faire autrement, extasié, il se tordra devant toi ». Dans son atelier, à sa table, Philippe Ducat reçoit le monde et le démasque sans jamais le tordre.
Le Massacre des innocents, 15 bis, rue des Bords de Marne, 94170 Le Perreux.
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Philippe Ducat, l’amateur éclairé
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°525 du 1 avril 2001, avec le titre suivant : Philippe Ducat, l’amateur éclairé