Le Musée des arts décoratifs et le Musée du Louvre s’associent pour proposer un triptyque d’expositions consacré aux arts islamiques, notamment d’Iran.
Après de longues années de disette sur le sujet, ce florilège parisien n’est pas le fruit du hasard. Il préfigure en effet l’ouverture du grand département des Arts de l’Islam au Musée du Louvre à l’horizon 2009. Dans ce contexte, l’exposition du Musée des arts décoratifs prend une tonalité particulière. La quasi-totalité de cette collection islamique, invisible depuis 1983, sera mise en dépôt au Louvre, scellant ainsi la réconciliation entre les deux institutions. La rénovation des Arts décoratifs n’avait pas réussi à lui faire une place. « C’est la fin d’une histoire et le début d’une autre », confirme Évelyne Possémé, conservatrice en chef au Musée des arts décoratifs et co-commissaire de l’exposition. Si la scénographie a été conçue par le muséographe du projet du Louvre dans l’idée d’établir une continuité, l’accrochage revendique son ancrage dans la tradition des arts décoratifs. « Nous présentons la collection de manière historiographique, en hommage aux donateurs, mais aussi pour montrer l’influence de ces arts sur les créateurs du XIXe siècle. Beaucoup de ces objets ont en effet été achetés comme des pièces décoratives. Au Louvre, l’approche sera plus historique », explique Sophie Makariou, commissaire associée et conservatrice en chef du département des Arts de l’Islam du Louvre. Cette dernière est également le chef d’orchestre d’une seconde exposition, montée dans les espaces exigus de l’aile Richelieu et consacrée à un autre projet muséal : l’Aga Khan Museum de Toronto. Prévu pour ouvrir en 2011 et conçu par l’architecte japonais Fumihiko Maki, ce musée doit devenir le phare de la culture musulmane dans cette zone frontalière située entre les États-Unis et le Canada. Sur le millier de pièces constituant cette impressionnante collection, soixante-quatorze ont ici été sélectionnées. Elles permettent d’évoquer quelques thèmes clefs de la création en terres d’Islam : rôle des influences européennes et chinoises ; place de la représentation figurée ; esthétique de l’écriture ; spécificités de la tradition chiite (confession de l’Aga Khan). Ces quelques repères sont les bienvenus avant de s’engager dans la très érudite exposition consacrée aux arts de l’Iran safavide (1501-1736) et déployée dans le hall Napoléon. Pour Assadullah Souren Melikian-Chirvani, directeur de recherche émérite au CNRS, il s’agit là de réécrire une page de l’histoire de cet apogée de l’art iranien et de sa capitale, Ispahan. Desservie par une scénographie sinistre, l’exposition s’adresse à un public de spécialistes, même si nul ne peut rester indifférent à la qualité de ces objets. A. S. Melikian-Chirvani démontre parfaitement à quel point ce peuple féru de poésie en a imprégné tous ses arts. Dans le domaine de la peinture tout d’abord, laquelle est brillamment illustrée par quelques feuillets dus à ses meilleurs représentants (Behzad et Soltan Mohammad). Mais aussi dans les arts décoratifs, qui font ici, pour la première fois, l’objet d’une interprétation symbolique. Tous les vers dont sont ornés les bronzes, tapis, céramiques et verreries ont en effet été traduits et explicités dans la somme qui accompagne l’exposition. « Comme en Chine, les lettrés ont joué un rôle primordial en Iran, explique A. S. Melikian-Chirvani. L’art y est intimement lié au verbe. C’est un art du symbole qui ne décrit pas le monde matériel et n’est pas voué au décor, comme on l’a longtemps cru », et comme l’évoque très judicieusement l’exposition des Arts décoratifs délibérément intitulée « Purs décors ? ». Si cette manifestation marque une avancée pour une histoire de l’art iranien encore balbutiante, elle répond aussi au souhait de son commissaire « d’ouvrir, en cette période difficile, une fenêtre sur le monde iranien ». Le rafraîchissement des relations entre Paris et Téhéran en a vraisemblablement écorné le contenu. Quatorze feuillets du Musée des arts contemporains de Téhéran n’ont finalement pas fait le voyage. Issus du prestigieux Shah-Nameh de Shah Tahmasp (1524-1576), ces peintures sont connues pour avoir été troquées en 1993 par la République islamique contre une toile de Willem De Kooning. A. S. Melikian-Chirvani avait alors défendu cette aliénation d’une œuvre publique devant le Parlement, afin de sauver de la dispersion ce qui restait de ce trésor national iranien, dépecé par son propriétaire, Arthur M. Houghton Jr. (devenu par la suite le président du Metropolitan Museum of Art, à New York). Le Shah-Nameh, ou Livre des rois, est l’un des textes emblématiques de la culture iranienne. Versifié au Xe siècle par le poète Ferdowsi, il est constitué d’une succession de paraboles exemplaires de l’histoire du monde.
- LE CHANT DU MONDE, L’ART DE L’IRAN SAFAVIDE (1501-1736) et CHEFS-D’ŒUVRE ISLAMIQUES DE L’AGA KHAN MUSEUM, jusqu’au 7 janvier, Musée du Louvre, hall Napoléon et aile Richelieu, 75001 Paris, tél. 01 40 20 53 17, tlj sauf mar. 9h-18h, jusqu’à 22h le mer. et vend., www.louvre.fr. Cat., éd. Louvre/Somogy, 2007, 469 p., 42 euros, ISBN 978-2-7572-0126-8, et éd. Louvre/5 Continents, 192 p., 32 euros, ISBN 978-88-7439-442-5. - PURS DÉCORS ? CHEFS-D’ŒUVRE DE L’ISLAM AUX ARTS DÉCORATIFS, jusqu’au 13 janvier, Musée des arts décoratifs, 107, rue de Rivoli, 75001 Paris, tél. 01 44 55 57 50, du mar. au vend. 11h-18, sam.-dim. 10h-18h, jeudi jusqu’à 21h, www.lesartsdecoratifs.fr. Cat., éd. Les Arts Décoratifs/Musée du Louvre, 351 p., 49 euros, ISBN 978-2-916914-02-2.
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Paris met (enfin) l’Orient à l’honneur
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°267 du 19 octobre 2007, avec le titre suivant : Paris met (enfin) l’Orient à l’honneur