La Cité nationale de l’histoire de l’immigration va enfin permettre d’aborder une histoire longtemps ignorée. Un projet qui fait l’unanimité, mais dont l’installation n’est pas sans soulever quelques controverses.
PARIS - Souhaitée depuis longtemps, évoquée par Lionel Jospin en 2001, promise par Jacques Chirac lors de sa campagne présidentielle l’année suivante et concrétisée par Jean-Pierre Raffarin en juillet 2004, la Cité nationale de l’histoire de l’immigration va enfin voir le jour. Sa mission : « ressouder la cohésion nationale » et « faire évoluer les regards et les mentalités au sujet des phénomènes migratoires, aussi bien du point de vue des arrivants et de leur proche descendance que de la société d’accueil », déclarait en mars 2003 Jacques Toubon, alors président de la Mission de préfiguration de la cité, dans une lettre adressée au Premier ministre. La création de la Cité s’inscrit dès lors comme un acte politique : « un signe important qui sera adressé à ces générations de Français issus de l’immigration, en particulier les générations les plus récentes qui se trouvent parfois en situation de déshérence identitaire ». Bénéficiant de ses entrées à la présidence de la République, l’ancien ministre de la Culture a mené le projet à la vitesse de l’éclair. Il a remis au début de l’été 2004 son rapport à Jean-Pierre Raffarin, lequel annonçait la création officielle de la Cité dans la foulée, avec une ouverture prévue pour le printemps 2007, année des présidentielles… En février 2005, Jacques Toubon a été nommé président de la Cité, tandis que la directrice des Musées de France, Francine Mariani-Ducray, s’en voyait confier la vice-présidence. Luc Gruson, l’ancien directeur de l’ADRI (Agence de développement des relations interculturelles), où se préparait le projet depuis 2003, assure, pour sa part, la direction de ce nouveau lieu destiné à aborder une histoire longtemps passée au second plan : celle des immigrés de France. Il a été rejoint début avril par Hélène Laffont-Couturier, nommée conservatrice en chef de l’exposition permanente. Ancienne conservatrice au Musée d’Aquitaine à Bordeaux, elle a été débauchée du futur Musée des Confluences prévu à Lyon pour 2007-2008.
Un musée sans collection
À terme, la Cité nationale de l’histoire de l’immigration, actuellement groupement d’intérêt public (GIP), devrait prendre le statut d’établissement public. Elle est d’ores et déjà sous la tutelle du ministère de la Culture et de la Communcation, mais aussi de l’Éducation nationale et de la Recherche, du Travail et de la Cohésion sociale. Envisagée d’abord comme un « musée » (de l’histoire et des cultures de l’immigration), la Mission de préfiguration, après de véhéments débats, a finalement opté pour l’appellation « cité ». Et pour cause : le musée a été créé sans collections ! C’est une première en France. « Le projet est né d’un souci de recherches historiques, il a été conçu comme un lieu de débat, donc il n’y avait pas forcément besoin de collection. Celle-ci va se constituer au fur et à mesure. À terme, ce sera un musée et il en aura toutes les caractéristiques », tranche Francine Mariani-Ducray. « Plus que de conservation, il est question de réflexion sur ce qui constitue les valeurs de la nation, la culture commune. La cité sera animée de manifestations temporaires, conférences, colloques, rencontres », ajoute Luc Gruson. Certains auraient d’ailleurs préféré que la Cité accueille seulement des expositions temporaires, mais la voix de Jacques Toubon en faveur d’un parcours permanent a été déterminante.
Autre option qui n’a pas été sans poser problème : le choix du lieu destiné à abriter le futur établissement. Après avoir écarté la Bourse du commerce dans le quartier des Halles, la Grande Arche de la Défense ou l’île Seguin à Boulogne-Billancourt, la Mission de préfiguration a jeté son dévolu sur le Palais de la porte Dorée, dans le 12e arrondissement de Paris. Ancien Palais des colonies édifié pour l’Exposition coloniale de 1931, le bâtiment, qui a abrité pendant près de soixante-dix ans l’ancien Musée des arts d’Afrique et d’Océanie (MAAO), dissolu début 2003 à la faveur du futur Musée du quai Branly (lire le JdA n° 164, 7 fév. 2003), est pour l’heure occupé par la future Cité de l’architecture. Celle-ci est censée s’installer dans ses nouveaux locaux du Palais de Chaillot d’ici à la fin de l’année (lire le JdA n° 209, 18 fév. 2005). Si les délais ne sont pas respectés, des embouteillages sont à craindre du côté de la Porte Dorée. Remarquable par ses qualités architecturales, le palais de style Art déco est fortement marqué par ses origines et exhibe, sculptés à même la pierre de ses façades, les idéaux de l’ancien empire colonial français. Les équipes de la Cité entendent « retourner le symbole » et « assumer enfin le passé de la France ». Mais comment réussir là où le MAAO a échoué ? Comment ne pas réduire l’histoire de l’immigration au seul phénomène de la colonisation ? « Le MAAO a échoué car il n’a pas accepté la vérité. Il a fait comme si cela n’avait jamais existé, il a toujours eu honte de ce bâtiment. Nous entendons expliciter les fresques, faire un réel travail de décryptage et de déconstruction », défend Luc Gruson. Un espace d’accueil informera le visiteur sur l’histoire du lieu et montrera « en quoi la vision du monde a évolué ». Mais le directeur de la Cité reconnaît que « le choix de la Porte Dorée s’est fait pour des raisons d’opportunité ». Jean Guibal, responsable de la Conservation du patrimoine de l’Isère au Musée dauphinois à Grenoble, très enthousiaste sur le projet, déplore toutefois « qu’un établissement de cette envergure soit, une fois de plus, installé à Paris, alors que de grandes villes comme Lyon, Bordeaux ou Marseille pouvaient l’accueillir ». Mais le projet voulu à échelle nationale ne s’inscrit pas dans le contexte de la décentralisation, insiste Luc Gruson : « On ne voulait pas être dans un lieu marginal, au fin fond de la province ou en banlieue. »
Recueil de témoignages
D’abord estimés à 30 millions d’euros, les travaux d’aménagement de la Cité (sur 7 000 m2) ont été revus à la baisse : 20 millions d’euros sont prévus pour son installation dans les locaux, la muséographie et la restauration du Palais des colonies – restauration qui devrait engloutir à elle seule la moitié du budget. Luc Gruson reconnaît à ce propos qu’aujourd’hui « il n’y a plus de place pour un nouveau grand projet, financièrement supportable par l’État ». La Cité devra donc composer avec les restrictions budgétaires imposées aux ministères de la Culture et de l’Éducation. « La réussite de ce projet, aussi intéressant qu’indispensable, dépendra de sa rigueur scientifique, mais aussi des moyens qui lui seront octroyés. Il est impossible de faire les choses à moitié. Ce serait pire que tout de faire un projet au rabais », note Julie Guiyot-Corteville, présidente de la FEMS (Fédération des écomusées et musées de société). Seuls des moyens importants permettront à la Cité de passer de la théorie à la pratique. L’établissement, qui doit également abriter un centre de recherche et de documentation, un auditorium, un espace pour les activités pédagogiques et une médiathèque disposera de 7 millions d’euros par an dont 300 000 destinés aux acquisitions. Celles-ci seront largement orientées vers le recueil de témoignages oraux, notamment auprès des familles issues de l’immigration. Pour constituer ses collections, la Cité devra réaliser un important travail de repérage et d’inventaire du patrimoine de l’immigration. Pour ce, elle compte travailler en réseau, avec les associations, les collectivités locales ou d’autres institutions capables de livrer des projets clés en main. En 2005, l’équipe devrait compter 36 personnes pour, au final, atteindre un effectif de 70 à 100 salariés, selon l’annexion ou non des personnels de l’aquarium tropical. Dernier vestige du Musée des colonies, celui-ci est installé au sous-sol du palais. On peut au passage s’interroger sur la pertinence de sa présence au sein de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration… Luc Gruson entend, pour sa part, tirer profit des 300 000 visiteurs qui s’y pressent chaque année et les attirer du bac à crocodiles aux 1 000 m2 de l’espace permanent.
« Gadget politique »
À ceux qui douteraient de la liberté d’expression d’une institution aux ambitions aussi politiques que scientifiques, Michel Colardelle, directeur du Musée des civilisations et de l’Europe méditerranéenne (Mucem) et membre du comité de pilotage, répond : « Le conseil scientifique assure la liberté d’expression. Il est composé de personnalités totalement libres d’esprit, qui n’hésiteront pas à parler franchement. C’est une sorte d’instance de dérégulation politique. » Certains restent pourtant sceptiques, ainsi de Gilbert Schoon, directeur du Musée de l’histoire vivante, à Montreuil-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), pour qui « les lois françaises sont de plus en plus draconiennes vis-à-vis des immigrés. Depuis 2003, tous les nouveaux arrivants en France doivent signer un contrat d’accueil et d’intégration. Au lieu de vraiment s’intéresser aux gens issus de l’immigration, le gouvernement fait à coup de millions ce gros gadget politique dans un lieu pour le moins marqué. » Une chose est sûre, la Cité de l’immigration témoigne des nouvelles orientations des musées français. Avec les Confluences à Lyon et le Mucem à Marseille (lire le JdA n° 208, 4 fév. 2005), l’institution annonce un nouveau type de musée dans le paysage culturel français. Héritiers des musées de société ou écomusées, ces établissements qui cherchent à aborder les nouvelles questions du monde moderne sont conçus comme des lieux de rencontre et cherchent à attirer un public qui n’est pas habitué à fréquenter les musées d’art.
Conçu sur les modèles de l’Ellis Island Immigration Museum à New York, du Musée de la civilisation de Québec ou des expositions du Musée dauphinois à Grenoble, le parcours permanent, intitulé « Repères », retrace les grandes étapes de l’immigration en France de la fin du XVIIIe siècle à nos jours. Panneaux pédagogiques, bornes interactives, chants, musiques, langages et bruits de la vie quotidienne diffusés par des haut-parleurs ou des écouteurs, extraits de films, documents audiovisuels, photographies, illustrations d’époque et reconstitutions (comme celle d’un atelier ouvrier) devraient s’y déployer selon une présentation chronologique. Des sections thématiques (la place des femmes, les regroupements familiaux, le rôle de l’école…) et des « modules » dédiés à un aspect particulier de cette histoire (les juifs d’Europe centrale, les orphelins arméniens, la guerre d’Algérie…) enrichiront l’ensemble. La programmation de la Cité est d’ores et déjà à découvrir sur son site Internet (1), ouvert depuis octobre 2003. Mais, pour Jean-Claude Duclos, directeur du Musée dauphinois, membre du Comité de pilotage de la Cité, « plus que l’installation permanente, ce sont les événements qui vont créer le lieu, faire sa notoriété et son rayonnement. La Cité devra notamment être sensible à l’actualité sociale, de la manière la plus libre qui soit ». Les expositions temporaires, au nombre de trois par an, pourront aborder des aspects de l’actualité, même si le lieu n’a pas propension à « jouer le rôle du journal de 20 heures », précise Luc Gruson. (1) www.citeimmigration.fr
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Nous sommes tous des enfants d’immigrés !
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°213 du 15 avril 2005, avec le titre suivant : Nous sommes tous des enfants d’immigrés !