Le designer italien Michele De Lucchi dévoile dans un entretien la genèse de ses créations dans le domaine du luminaire. L’auteur du best-seller « Tolomeo » bénéficie actuellement d’une présentation à Beaubourg.
Auteur, avec la lampe Tolomeo, de l’un des plus beaux succès du luminaire de ces dernières années, l’architecte et designer Michele De Lucchi, 53 ans, est mis à l’honneur au Centre Pompidou, à Paris. Depuis le 10 décembre 2003, le nouvel accrochage du Musée national d’art moderne lui a réservé deux salles – les 28 et 29 – où l’on peut découvrir une partie de sa production, en particulier les lampes Tolomeo, Treforchette ou Macchina minima, récemment entrées dans la collection « design » du musée. Nous l’avons rencontré dans son agence milanaise, en pleine effervescence pour cause de Salon du meuble de Milan (lire page 4). Entretien.
À l’occasion du Salon du meuble de Milan, vous avez dévoilé une nouvelle collection de quatre luminaires, baptisée « Altocielo ». Ces lampes de table ne ressemblent-elles pas à des vases ?
Si, c’est effectivement une bonne façon de définir la forme de cette lampe. En fait, les vases et les lampes sont les deux typologies d’objets que j’apprécie le plus. J’ai tout simplement voulu les marier, dessiner un vase dans lequel, à la place des fleurs, on trouverait la lumière.
Il est devenu très difficile de nos jours de dessiner un objet, car le marché n’accepte que des objets conventionnels aux typologies bien définies, et rejette les autres. Ainsi, en imposant de produire des objets qui plaisent à tout le monde, ledit marché a étouffé la recherche et les idées. Le fait que la créativité ne soit là que pour satisfaire les études de marketing est très pénible, voire autodestructeur. Il n’y a aucune opportunité de générer de la nouveauté. C’est encore plus flagrant dans le domaine des luminaires, où les typologies sont très formatées. Une lampe est soit une lampe de table, soit une applique, soit une suspension, soit un lampadaire, point !
Avec la collection « Altocielo », j’ai cherché, au contraire, à sortir des typologies habituelles, afin d’en créer une moins conformiste : un objet formel qui cache une lampe. Dessiner une lampe est encore, pour moi, une belle occasion d’inventer quelque chose de différent, d’offrir quelque étonnement aussi. Exemple : les quatre lampes Altocielo disposent d’une ampoule dirigée vers le plafond. Deux d’entre elles ont un intérieur blanc, les deux autres un intérieur noir. Au final, l’intérieur blanc a provoqué de multiples reflets à la base de la lampe, et non l’intérieur noir. Ce n’était pas calculé. Ce fut une bonne surprise.
Il y a presque vingt ans, en 1986, vous avez créé la lampe Tolomeo, produite deux ans plus tard par la firme italienne Artemide. Elle est inspirée de la lampe d’architecte Luxo L-1 dessinée en 1937 par le Norvégien Jacob Jacobsen, elle-même variation de la lampe Anglepoise, créée en 1934 par l’Anglais George Cawardine. Comment est née la Tolomeo ?
N’oubliez pas que je suis, au départ, architecte. D’où mon intérêt pour ce que l’on appelle les « lampes d’architecte ». J’avais, en fait, l’idée de redessiner de manière plus contemporaine la fameuse lampe de Jacob Jacobsen, avec son abat-jour métallique, son bras double pliant et ses quatre ressorts à tension constante. Je voulais notamment cacher son système de ressorts apparents dans la structure même de la lampe.
Un jour, j’ai observé un pêcheur qui faisait descendre et remonter son filet grâce à un câble coulissant au sommet d’un piquet de bois enfoncé dans le sol. Cela m’a donné l’idée d’un mécanisme aussi élémentaire, constitué d’un simple câble métallique guidé par de minuscules poulies. Le principe de la Tolomeo était né.
Comment expliquez-vous le succès de la lampe Tolomeo, que l’on a coutume de comparer à la lampe Tizio de Richard Sapper ?
Je pense que c’est sa transversalité qui a fait son succès commercial. La Tolomeo peut s’intégrer à tout type d’environnement : à la maison, au bureau, dans un atelier… En outre, elle peut être utilisée par tous, du plus jeune au plus âgé. C’est une lampe qui possède une technologie minimale, presque un « parfum » de technologie. En tout cas, une technologie non agressive, que je qualifierais de « familiale ».
En revanche, la Tizio est une lampe plus compliquée. Le contrepoids doit être réglé au millimètre près, sinon elle ne fonctionne pas. De plus, l’ampoule halogène implique la présence d’un transformateur. Tout le contraire de la Tolomeo qui, elle, accepte tout type d’ampoule. Enfin, dernier point : la Tolomeo ne coûte pas cher. En design contemporain, c’est, je pense, la lampe qui a connu le plus grand succès commercial, le double des ventes de la Tizio.
Vous semblez porter une certaine affection pour les lampes. Pourquoi ?
Le premier objet que j’ai dessiné était une lampe : la Sinerpica, en 1978. La lampe est mon objet préféré. C’est le meilleur objet pour conjuguer une sensibilité à la technologie contemporaine et une sensibilité à l’environnement humain.
Lorsque vous dessinez une lampe, dessinez-vous l’objet lui-même ou bien la lumière qu’il va produire ?
Je n’ai pas de recette précise pour dessiner une lampe. La forme implique inévitablement un type de lumière, notamment si la source de lumière est chaude ou froide. Mais je peux aussi bien partir d’un type de lumière que d’une forme de lampe. Pour la collection de lampes « Soufi », par exemple, produite en 2000, mon idée était de créer un luminaire qui rende une lumière la plus évanescente possible, une lampe pour célébrer la lumière que l’on pourrait laisser allumée toute la journée. Ainsi, j’ai commencé à dessiner à partir d’une ampoule basse consommation de forme allongée, achetée dans le commerce. Il faut dire que je connais toutes les ampoules qui existent sur le marché. D’ailleurs, actuellement, je dessine des lampes pour Artemide à partir d’une toute nouvelle ampoule très technique, que l’on utilise pour les éclairages dans les musées.
Je pense que l’ampoule est déjà un objet tellement parfait qu’elle peut être elle-même considérée comme une lampe. Aujourd’hui, dessiner une lampe revient à dessiner une « enveloppe » qui fonctionne bien avec le design de l’ampoule.
Ces nouvelles lampes Altocielo ne sont-elles pas un peu décoratives ?
Non. Elles n’ont pas, par exemple, l’aspect figuratif des lampes que j’ai produites pendant la période Memphis. Au contraire, elles signent, pour moi, l’abandon du style bande dessinée, du style un peu Disneyland et coloré du début des années 1980. Même si on peut considérer cette lampe comme plus « sérieuse », l’intention reste la même. J’ai aujourd’hui définitivement coupé les ponts avec les périodes Alchimia ou Memphis, mais je n’ai pas coupé avec l’idée de la provocation contre le bon goût comme contre le bon sens. J’aime bien lorsque je peux contribuer à une certaine désorientation de la société, mais à une désorientation qui soit un réel changement, une évolution. Je pense être toujours autant provocateur.
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Michele De Lucchi : « La lampe est mon objet préféré »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°192 du 30 avril 2004, avec le titre suivant : Michele De Lucchi : « La lampe est mon objet préféré »