Michelangelo Pistoletto aurait comme de faux airs de Sean Connery, barbe poivrée et œil taquin, si ce n’était ces sourcils noir broussaille et le chapeau de paille volontiers vissé sur la tête.
Italien, sans l’ombre d’un doute. Verbe sûr, français précis et énergie intacte, Michelangelo Pistoletto, 78 ans, s’engage sans mollir aux commandes de la seconde édition d’Evento à Bordeaux. La rencontre avec Alain Juppé ? À peine surpris que le maire de la ville soit venu le chercher, lui, l’utopiste invétéré, le héraut d’un art vecteur de transformation sociale. « C’est un humaniste, comme moi », balaie-t-il. Et Pistoletto a appris à convaincre. À défendre un autre modèle de vie possible.
Un reflet sur le tableau
Au programme cet automne : du participatif, du lien, des chantiers mobiles adossés au tissu associatif, des graines semées dans les quartiers négligés pour une « ré-évolution urbaine ». Autrement dit : créer au-delà de l’objet et replacer l’art au cœur de la « fabrique sociale ». Pas si loin des premiers flambeaux brandis dans les années 1960, alors que le jeune peintre de la scène turinoise cherche le moyen de concilier l’autonomie de l’art et son implication active dans la vie. Au père, peintre et restaurateur turinois, de lui donner le goût de l’histoire de l’art et de la matérialité de la peinture. Au miroir de lui donner bientôt une extension universelle. On est en 1961, Pistoletto inaugure son œuvre en travaillant l’autoportrait à fond noir. Dans le vernis de la toile apparaît son propre reflet. Ne reste plus qu’à fondre tableau et miroir.
Désormais, c’est sur acier poli que Pistoletto dépose des images fixes sérigraphiées. Entre le spectateur, son reflet et la figure peinte s’incarne un même espace-temps. « L’œuvre est bidimensionnelle, puisque c’est un tableau avec une hauteur et une largeur, résume-t-il en 2007 lors de sa grande rétrospective au Musée d’art moderne et d’art contemporain de Nice. Elle a une profondeur qui suggère la tridimensionnalité ; elle est quadridimensionnelle, car on a la vraie dimension du temps. Le temps est là tout entier : le passé, le présent, le futur. » Un tableau phénoménologique, entre « incarnation et épiphanie ». Le succès vient vite.
Diviser pour mieux multiplier
Mais l’heure est au transfert de pouvoir : l’Amérique prend la main. Pistoletto résiste et, avec lui, la tribu d’artistes de l’Arte Povera rassemblée à Turin. Au programme : contrer la domination américaine, contrer la subjectivité héroïque de l’artiste, contrer la société marchande et redéfinir la présence de l’artiste dans le monde. Pistoletto s’éloigne un peu plus de l’objet et tente d’injecter le langage de l’art dans la rue. Ce sont les années du groupe Zoo lorgnant du côté du Living Theater et de l’ouverture tous azimuts à la collaboration. Rien d’étonnant alors à ce que bientôt les miroirs se divisent, multipliant par là même l’absorption du monde. « Diviser, c’est multiplier », répète-t-il. Et la multiplication, c’est contourner l’accumulation.
Trente ans plus tard, Pistoletto ne résiste pas toujours à l’autocitation, mais maintient la barre utopique, en moraliste activiste dans le bouillonnement de la Cittadellarte, université des idées qu’il a fondée en 1998 dans sa ville natale de Biella. Ou comment passer de la dimension du « soi » à celle du « nous ». À vérifier à Bordeaux.
1933 Né à Biella (Italie)
1963 Rencontre Germano Celant, le fondateur de l’Arte Povera
Années 1990 Crée la Fondation Pistoletto, Cittadellarte
2003 Lion d’or à la Biennale de Venise
2011 Directeur artistique d’Evento, à Bordeaux
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Michelangelo Pistoletto, créateur de lien social
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16 octobre 2011, www.evento2011.com
Le Troisième Paradis de Michelangelo Pistoletto, Actes Sud, 112 p., 29 euros
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°639 du 1 octobre 2011, avec le titre suivant : Michelangelo Pistoletto, créateur de lien social