« Je ne veux pas stupéfier », aime rappeler Markus Raetz avec son éternel demi-sourire. Longue silhouette, lunettes rondes cerclées de métal, profil aussi net que les lettres d’acier qu’il dessine dans l’espace, l’artiste suisse semble traverser l’ouverture de son exposition à la BNF avec un embarras bienveillant.
Heureux de dérouler son œuvre dans le temple de l’estampe, réticent sans doute à devoir commenter un travail souvent réduit à une succession de résolutions. La faute à ses diables de sculptures qui n’en finissent pas de l’identifier, capables de basculer d’un mot à un autre, d’une silhouette de Beuys à un lapin, de dire « Ceci » et « Cela », « Yes » et « No », « Tout » et « Rien », le temps d’un glissement, d’un reflet dans un miroir, d’un changement de lettre, d’un renversement d’échelle, le temps surtout d’une pirouette de spectateur. Un système aussi sophistiqué que fripon, d’échanges et de transformations à prises multiples qui ont déjà mené Raetz, le discret, de musées internationaux en pavillon suisse pour la Biennale de Venise.
Le goût pour la diversité
Y aurait-il donc dans les images de Raetz et leur goût de l’énigme optique une image juste ? Rien de moins sûr. « Ce qui m’importe, annonce-t-il pour la BNF, c’est le mouvement qu’on fait autour de l’œuvre, les différentes perceptions qu’on a en fonction de notre évolution dans l’espace. » On voit ce que l’on voit, et non ce que l’on doit voir. C’est-à-dire bel et bien l’objet dans toutes ses possibilités. Rien à résoudre donc, mais plutôt tout à ouvrir pour celui qui se préfère en garant des métamorphoses davantage qu’en poète illusionniste. Ces sculptures-là s’imposent d’ailleurs sur le tard, chez ce fils d’instituteur.
Celui qui commence par mettre ses pas dans ceux de ses parents apprend à regarder les paysages auprès de quelques « bons peintres » et muscle sa culture historique, qu’il a vertigineuse. À Berne, l’heure est à l’expérimentation facile, encouragée par la figure bientôt tutélaire d’Harald Szeemann. On est en 1963 et Raetz se lance. S’ouvre alors un itinéraire tout en lentes expérimentations tenues par une intégrité de tous les diables, et le goût quasi théorique pour la diversité technique. De front : peinture, photographie, sculptures en bois, fer, eucalyptus, eau-forte, aquatinte, burin, mine de plomb, encre de Chine et même dessins sur sable. Dessins sur tout. Comment ne pas y voir déjà le lieu même de la métamorphose ? Comment ne pas la relier à la passion de Raetz pour les jeux formels d’un Raymond Roussel, les promenades erratiques de Robert Walser ou les trappes du génial Laurence Sterne, trois bâtisseurs de territoires littéraires ?
Quand il était enfant, son grand-père lui faisait voir la trame des images à l’aide d’une loupe. Des billets de banque aux timbres. Un goût de la trame au trait, trame au point, toujours à l’œuvre dans l’œuvre imprimé montré à la BNF. À commencer par Binocular View (2001), une photogravure dans laquelle un paysage marin se regarde au travers de jumelles. À vous de voir.
1941
Naissance à Berne (Suisse).
1961-1963
Instituteur à Bienne.
1968
Documenta 4, Kassel.
1969-1973
Vit à Amsterdam et pratique l’eau-forte.
1988
Biennale de Venise.
2009
« Une image peut en cacher une autre » à Paris.
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Markus Raetz, le garant des métamorphoses
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Abonnez-vous dès 1 €« Markus Raetz, estampes, sculptures », BNF, site Richelieu, jusqu’au 12 février.
« Œuvres récentes », galerie Farideh Cadot, Paris-3e, jusqu’au 30 décembre.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°642 du 1 janvier 2012, avec le titre suivant : Markus Raetz, le garant des métamorphoses