Du 30 mars au 3 avril, le Théâtre de la Ville à Paris monte la dernière création du chorégraphe José Montalvo qui mêle avec bonheur danse et vidéo. Mais qui est ce nouveau trublion de la danse contemporaine ? Né en 1955 en Espagne, José Montalvo est venu enfant à Toulouse. Après des études d’architecture et d’arts plastiques, il a débuté comme chorégraphe en 1982. Il remporte plusieurs concours, dont celui de Bagnolet, et travaille « hors normes », donnant pendant quatre ans des cours de danse en institution psychiatrique. En 1985 il crée sa compagnie avec la danseuse Dominique Hervieu. En 1993 Double Trouble fait appel à la vidéo, en 1995 Pilhaou Thibaou met en scène des danseurs hip hop. Le succès international couronne Paradis en 1997. En juin 1998, José Montalvo et Dominique Hervieu sont nommés à la tête du Centre chorégraphique national de Créteil. Trois de leurs créations sont actuellement en tournée jusqu’au mois de juillet : Le Jardin io io ito ito au Théâtre de la Ville de Paris ce mois-ci, Paradis en France, Belgique et Israël, Hollaka Hollala en France et en Suisse.
Quels sont vos premiers souvenirs liés à la peinture ?
Je me souviens du sourire heureux et excité qui me saisissait à la vue d’une reproduction de Rubens accrochée au mur du bureau de mon père. Il me semble qu’il s’agissait du Jugement de Pâris. Je ressentais ce tableau comme une véritable charge sensuelle. Je n’hésitais pas à consulter et à reconsulter cette reproduction qui me paraissait immense. Je dois à Rubens quelques vivifiants et joyeux fantasmes... Trente-huit ans plus tard, j’ai créé un poème chorégraphique en hommage à Jérôme Andrews, artiste d’exception qui eut sur moi une influence déterminante et constructive, un pédagogue hors pair. Alors que je pensais poursuivre des études d’architecture, ma rencontre avec lui m’a poussé à prendre une autre voie. Pour lui, donner un cours, c’était donner une étourdissante fête des corps, sous-tendue par une réflexion profonde et enjouée sur la matière même du mouvement. Cette fête des corps évoquait pour moi Rubens. J’ai donc construit une chorégraphie qui mêlait un clin d’œil à Rubens avec des instants d’enchantement dansés vécus auprès de Jérôme Andrews. Il partageait avec Rubens la même passion-sensualité des corps, des couleurs, des étoffes, du mouvement. L’autre nom qui me vient à l’esprit est Picasso. Comme mon père était un réfugié politique espagnol, il avait une passion pour cet artiste. Son sens pédagogique était assez aiguisé pour me faire partager ses propres émotions. Ma mère, danseuse de flamenco amateur, avait des reproductions, et je me souviens d’images de corridas, de Picasso encore. Qu’ai-je retenu, au-delà de chocs et des émotions plastiques suscitées par son œuvre, dans mon écriture chorégraphique d’aujourd’hui ? D’abord que la rencontre avec d’autres cultures peut être un point d’appui pour élargir notre imaginaire. Je pense au brio de Picasso pour s’approprier et détourner l’art nègre à l’intérieur d’une démarche singulière.
Ensuite une agilité pour s’approcher et s’éloigner tour à tour de la figuration. Sans jamais renoncer à la figuration, Picasso n’y sombrait pas, inventant une écriture mi-abstraite, mi-figurative. De son œuvre j’ai retenu ce qui peut alimenter mon propre fantasme d’écriture en la déformant.
Certains titres de vos chorégraphies sont des clins d’œil à Dada. Comment ce mouvement vous a-t-il influencé ?
Au sortir de l’adolescence, j’ai découvert la constellation Dada. J’ai été touché par ses inventions innombrables, sa liberté, son sens de l’humour, son goût pour le jeu, l’héréroclite, le collage, le mélange des genres. Marcel Duchamp faisait partie des incontournables, par sa distance, sa désinvolture envers l’art. À la même époque, dans le monde de la danse, ce qu’on appelait des « performances » était aux frontières troubles entre le théâtre, la danse, la poésie et les arts plastiques. J’ai été impressionné et séduit.
Dans les pièces que je compose actuellement, j’essaie de retrouver ce bonheur un peu décalé. Les noms que je donne à un spectacle constituent autant de clins d’œil pour suggérer qu’un artiste ne tombe pas du ciel, qu’il est le résultat de sa subjectivité, de son présent. La mémoire préservée de l’art est source de création inépuisable, de changements, d’aspirations. Plus tard, comme tout le monde, j’ai découvert que beaucoup de ces processus – mélange des genres, des langages, jeu entre art majeur et mineur – sont mis en œuvre chez Cervantès, Rabelais, Picasso, Joyce... Hollaka Hollala était un clin d’œil à la poésie sonore, au Cabaret Voltaire né au cœur de la folie meurtrière de la guerre de 14-18 chez des artistes réfugiés en Suisse. Pour réinventer la poésie sonore, les danseurs hommes et femmes se transformaient en fontaines, ils se gargarisaient avec l’eau qu’ils avaient dans la bouche.
Comment avez-vous abordé le milieu de la création artistique ?
J’ai commencé par faire des études d’ingénieur en travaux publics, puis j’ai travaillé dans un cabinet d’architecture. En venant à Paris, je me suis inscrit à la faculté de Vincennes, c’est là que j’ai découvert la réflexion sur l’avant-garde. Jérôme Andrews m’a fait comprendre que la danse est un art à part entière comme les arts plastiques ou la littérature. Il m’a permis de trouver en moi ce qui me constitue. Jusque là, la danse était une passion inavouée, je la pratiquais sans la prendre au sérieux. À l’époque de la sortie des avant-gardes, la post-modernité est morte par prolifération de sens, la notion de progrès en art était remise en question. Mes œuvres, qui intègrent des styles de danses différents,
sont nées de cette réflexion. Par exemple, La mitrailleuse en état de grâce était un clin d’œil à la sculpture.
Comment la notion de collage intervient-elle dans votre œuvre ?
Comme dans les collages, de petits fragments dansés sont juxtaposés dans une architecture musicale. Cela signifie que je tiens compte de l’hétérogénéité du monde. L’enjeu, c’est comment parler de moi de façon singulière tout en intégrant des points de vue différents sur le monde. Mes chorégraphies mélangent des styles différents, un peu à la manière de l’architecture post-moderne, que j’ai découverte vers 1977 avec le livre de Charles Jencks, The language of the post-modern architecture. Le mot « post-moderne » est devenu un fourre-tout à force d’être utilisé. Je ne l’emploie plus. En revanche j’aime beaucoup la phrase de Max Ernst : « Le collage est un instrument hypersensible et rigoureusement juste, semblable au sismographe capable d’enregistrer la quantité exacte des possibilités de bonheur humain à toute époque. »
Il ne s’agit pas de reconstituer une œuvre de Max Ernst, mais de montrer la rencontre de choses qui ne devraient pas se rencontrer. Une autre phrase d’Ernst me plaît : « Il ne faut pas avoir peur de tomber dans l’enfance de l’art. »
Allez-vous dans les musées ?
À Paris les deux musées où j’ai plaisir à retourner depuis vingt ans sont le Louvre et Beaubourg. Ce sont mes jardins parisiens, mes espaces de plaisir où je vagabonde.
Les artistes que j’y retrouve me procurent des chocs à partir desquels sautent les blocages. Le musée libère les potentialités qui étaient en moi, me montre des chemins.
Quels sont vos peintres favoris ?
Chez Rubens et Fragonard, j’aime un art de l’instant. Dans cette profusion du corps, de la chair, il y a une liberté dans la sensualité, un côté jouissif. Fragonard est très français parce qu’il représente une profondeur enjouée.
Êtes-vous collectionneur ?
« J’ai remarqué au cours des ans que la beauté et le bonheur sont choses fréquentes. Pas un jour ne s’écoule sans que nous ne vivions un instant de paradis. » Je tente de vérifier cette phrase de Borges dans ma vie quotidienne et de collectionner ces moments de bonheur éphémères et fugitifs. La danse m’a permis de démultiplier au cours de ma vie ces instants paradisiaques. En fait ce que je collectionne chez moi, ce sont les fruits et les bouteilles de vin, qui évoquent les plaisirs de la peinture. Ma dernière création, Le Jardin io io ito ito montre la nature canalisée par l’homme qui la transforme en parfums et en plaisir. Pour moi le jardin est un espace de gratuité. Si ma collection est vouée à l’éphémère, c’est qu’elle est en incessante transformation. Le plaisir est dans la gratuité. Une de mes dernières créations s’intitule Paradis, et les peintres du paradis, ce sont les impressionnistes, n’est-ce pas ?
PARIS, Théâtre de la Ville, 30 mars-3 avril.
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L’œil de José Montalvo
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°505 du 1 avril 1999, avec le titre suivant : L’œil de José Montalvo