Dominique Perrault n’a que 36 ans (l’enfance de l’art pour un architecte) lorsqu’il remporte le concours pour la Bibliothèque nationale de France en 1989.
Effet collatéral, né de l’inconscience et de la jalousie, la rumeur se répand : « Il a été servi ». On ne l’invite plus à concourir, on l’ignore. Il restera « tricard » en France plus de dix ans, ne réapparaissant ici qu’avec l’usine Aplix, édifiée aux portes de Nantes en 1999. Et encore, s’agissait-il d’une commande privée directe. Aussi Perrault, cas de figure unique, a-t-il construit sa carrière à l’étranger. Avant d’être enfin reconnu en France, à sa juste mesure, en 2008 grâce à l’exposition que lui consacre le Centre Pompidou. On y découvre l’étendue et la variété de ses architectures et à nouveau, la vieille antienne fonctionne : « L’herbe du voisin est toujours plus verte ailleurs ».
Gilles de Bure : Face à l’accueil qui vous est fait après la BnF, la solution pour vous, c’était l’étranger. Comment cela s’est-il passé ?
Dominique Perrault : Très naturellement. J’avais gagné le concours portant sur le vélodrome et la piscine olympique de Berlin avant même de livrer la Bibliothèque. Donc, j’ai enchaîné sans dommage. Et puis, j’ai été invité un peu partout dans le monde pour des conférences ou des enseignements. J’ai noué des contacts et intégré un réseau culturel plus que commercial. J’ai été invité à des concours et j’en ai gagné quelques-uns…
G. B. : La BnF a été une sorte de porte-drapeau pour vous. Qu’en est-il du prix Mies Van der Rohe que vous avez obtenu en 1997 et dont vous êtes d’ailleurs à ce jour le seul lauréat français ?
D. P. : Ce prix, européen mais internationalement reconnu, m’a naturellement aidé. Mais aussi, assez curieusement, des concours perdus comme celui du MoMA à New York ou de la Bibliothèque nationale au Japon. Le seul fait d’être invité vous fait exister, surtout lorsque vous êtes le seul Français à l’être.
G. B. : Vous avez édifié en Europe (Allemagne, Autriche, Espagne, Italie, Luxembourg) et dans le monde entier (Corée, États-Unis, Japon). Y a-t-il des différences notables d’un pays à l’autre ?
D. P. : Oui, bien sûr, mais elles portent essentiellement sur le niveau de responsabilité. Au Japon ou aux États-Unis par exemple, ce sont les bureaux d’étude qui les endossent.
Dans certains pays européens également. Ainsi, dans de nombreux pays, la clé d’entrée, c’est la notion d’auteur.
L’écriture plus que la technique, le concept plus que la mécanique, l’architecture plus que le bâtiment… Il est essentiel de savoir ça lorsqu’on regarde du côté du monde entier.
G. B. : Quel projet a signé votre réapparition en France ?
D. P. : Aplix bien sûr, mais surtout l’exposition au Centre Pompidou organisée par Frédéric Migayrou.Le milieu culturel français, l’Institution et même les grands groupes bâtisseurs ont soudain été pénétrables.
G. B. : Vous avez multiplié les architectures et les succès autour du monde. Demeure néanmoins l’échec du Mariinsky de Saint-Pétersbourg dont vous aviez remporté le concours. Vous l’amorcez et soudainement, tout s’arrête, vous êtes littéralement éjecté. Que s’est-il passé ?
D. P. : Il y aurait beaucoup à dire, mais résumons. L’administration russe affiche trop d’incompétence et de corruption. Les règles du jeu sont trop obscures, à moins qu’elles ne soient trop claires… Bref, je ne connais aucun architecte étranger ayant réussi à construire pour l’État russe. Pour des groupes privés oui, mais pas pour l’État.
G. B. : Jusqu’à la BnF votre volume d’activité était uniquement français. Après la BnF, il se réalise en totalité à l’étranger. Qu’en est-il aujourd’hui ?
D. P. : Je dirais qu’il s’accomplit, en volume d’activités et d’affaires, pour moitié en France et pour moitié à l’étranger.
G. B. : Combien de personnes compte votre agence ?
D. P. : 70 personnes, dont 50 % d’étrangers majoritairement européens, tant il est de plus en plus difficile pour un extra Européen de travailler en France.
G. B. : En conclusion ?
D. P. : Il est essentiel de se confronter au monde, à d’autres cultures, d’autres pratiques, d’autres projets petits et grands, à d’autres façons de l’envisager.
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L’herbe du voisin
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°362 du 3 février 2012, avec le titre suivant : L’herbe du voisin