Hormis une exposition sur la photographie russe contemporaine programmée à la Maison européenne de la photographie, à Paris, l’été prochain, les Années croisées France-Russie n’accordent guère de place à l’art moderne ou contemporain russe. Dans le même temps, Annette Messager, Fabrice Hyber, Claude Lévêque ou Jean-Marc Bustamante partent à l’assaut de Moscou ou Saint-Pétersbourg. Ce manque de congruence s’explique-t-il par la crainte de raviver le scandale mâtiné de censure suscité en 2007 par l’exposition « Sots Art » à la Maison rouge (Paris) [lire le JdA no 267, 19 octobre 2007, p. 39] ? Quoi qu’il en soit, cette lacune est d’autant plus navrante que la scène contemporaine russe ne manque ni de vitalité ni de piquant.
Pour se faire une idée de la créativité russe aux XXe et XXIe siècles, un tour des galeries parisiennes est donc recommandé. Du 1er au 30 avril, Vallois Sculpture ravive le souvenir de Chana Orloff, chantre de la féminité et portraitiste du Paris cosmopolite de l’entre-deux-guerres. L’exposition sera suivie de celle d’Ossip Zadkine du 3 juin au 31 juillet, puis d’Archipenko, du 4 novembre au 31 décembre. Outre ce volet moderne, Bob Vallois orchestre simultanément un opus contemporain. Coup de projecteur donc en avril sur son ami Yuri Kuper, avant de rendre hommage du 3 juin au 31 juillet au travail du galeriste moscovite Marat Guelman, artisan du Perm Museum of Contemporary Art et du nouveau concept de « Russian Povera ».
Benoît Sapiro, de la galerie Le Minotaure, n’a pas attendu l’Année de la Russie en France pour initier le public parisien aux artistes russes des décennies 1960-1970. Après avoir monté en 2007 à l’hôtel de l’Industrie une exposition en deux volets sur ce qu’il nomme la « deuxième avant-garde russe », le marchand n’a cessé d’en présenter les tenants au sein de sa galerie. Du 25 mars au 30 avril, il accrochera une sélection de collages ironiques de Mikhaïl Grobman, stigmatisant l’absurdité du pouvoir. En septembre, l’éclairage portera sur le travail de Boris Aronson, élève d’Alexandra Exter et membre du Kultur-Lige, une organisation visant à contribuer au renouveau de la culture yiddish.
Français sceptiques
La découverte du paysage contemporain russe requiert un passage par les galeries Rabouan-Moussion, Orel Art – qui montre jusqu’au 27 février le jeune Pétersbourgeois Ivan Plusch –, et Stanislas Bourgain, lequel a ouvert ses portes en février 2008. Depuis sa première collaboration en 1997 avec Oleg Kulig, Jacqueline Rabouan-Moussion n’a cessé d’arpenter la scène contemporaine russe jusqu’à en faire l’épine dorsale de sa programmation. Du 13 mars au 17 avril, elle convie ainsi Dimitri Tsvetkov, dont une grande œuvre fut présentée au centre d’art Le Garage au moment de la Biennale d’art contemporain de Moscou. Elle espère aussi pouvoir monter une plateforme russe sur la foire Art Paris en mars prochain.
Excepté Bob Vallois, aucune de ces enseignes n’a sollicité une labellisation « Saison France-Russie ». Sans doute parce qu’elles n’attendent pas grand-chose de cet événement diplomatico-culturel. « Pour moi, c’est tous les ans l’Année de la Russie », défend Stanislas Bourgain, qui montrera jusqu’au 13 mars le travail proche des miniatures russes de Veronica Smirnoff. Reste que la mixtion franco-russe n’est pas toujours évidente. « Lorsque nous avons fait l’exposition sur la "deuxième avant-garde russe" en 2007, les gens étaient un peu déroutés, admet Benoît Sapiro. Ils voyaient pour la première fois des artistes russes qui, pour certains, vivent en France depuis trente ans et qu’ils ne connaissaient pas. Les années 1960 restent encore plutôt appréciées par les Russes. C’est une histoire en train de s’écrire et il faut de grandes expositions institutionnelles pour mettre de l’ordre dans cette nébuleuse. »
Celui-ci rêve de monter au Musée Maillol un projet centré sur cette immigration artistique russe. Encore faut-il trouver des financements. Malgré l’enthousiasme de quelques collectionneurs passionnés comme Michèle et Jean-Jacques de Flers, l’intérêt pour l’art contemporain russe n’est pas acquis en France.
« Les gens sont perplexes. Il y a en Russie une tradition figurative que l’on peut trouver dépassée ici », constate Stanislas Bourgain. Ilona Orel, qui a ouvert sa galerie en 2001, confie avoir mis deux ans à entamer le scepticisme hexagonal. « Les artistes russes n’étaient exposés nulle part, pas même en Russie. Pour les Français, il était difficile d’imaginer la Russie contemporaine », précise-t-elle. D’après Jacqueline Rabouan-Moussion, une meilleure compréhension de la scène russe passerait par une publication exhaustive et précise. Un ouvrage jalon qu’elle espère sortir cette année.
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Les marchands aux avant-postes
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°318 du 5 février 2010, avec le titre suivant : Les marchands aux avant-postes