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Le grand large de Coromandel

Par Gilles de Bure · L'ŒIL

Le 1 novembre 2000 - 509 mots

La tentation est grande d’affirmer d’emblée : ils sont trois et ne font qu’un. Pourtant, rien n’est moins vrai malgré l’exceptionnelle densité, l’inhabituelle cohérence de leurs productions. Soit Alexis Fabry, Céline Fribourg et Gregory Leroy, tous trois trentenaires, tous trois diplômés d’écoles prestigieuses, tous trois armés d’avis, d’opinions, d’engagements parfaitement singuliers.
En 1993, Alexis et Gregory, encore étudiants, sont en Inde. Ils se baladent au hasard, au gré de l’instant et de l’instinct. Un beau jour, les voilà dans le Coromandel Express qui relie Calcutta à Madras en 38 heures. 38 heures passées à imaginer ce que sera la vie, plus tard, là-bas, de retour. Et les idées jaillissent : faire des choses rares, aussi fortes et magistrales que celles produites il y a longtemps, par le constructivisme ou le futurisme ; introduire dans la bibliophilie, milieu si conservateur, une modernité nourrie d’histoire et d’aventure ; établir des bilans successifs de la photographie contemporaine, du moins celle qu’ils aiment... De retour à Paris, la conversation rebondit et s’enrichit d’une nouvelle voix, celle de Céline.
En 1996, naît la maison d’édition. Comment la nommer ? La réponse fuse, immédiate : Coromandel Express. Après tout, l’idée est née au fil de ses rails. Et puis, quelle sublime sonorité de voyages et de lointains. Et puis encore, Coromandel la plaque tournante... En l’espace de quatre ans, naissent 11 livres d’artistes tirés à jamais moins de 35 exemplaires, jamais plus de 60. Des livres qui mêlent des noms de photographes tels William Klein et Graciela Iturbide, Vik Muniz et David Levinthal, des textes de Mohamed Dib et James Ellroy, Martin Amis et Édouard Glissant... certains d’entre eux emboîtés dans des coffrets signés de créateurs tels Ron Arad ou Ettore Sottsass Jr... Bref, 11 merveilles dont les trois complices ne vivent pas. Chacun d’entre eux s’occupant ailleurs pour survivre : commissariat d’expositions, publications de romans policiers sous pseudonyme, conseils en constitution de collections... Et puis voici qu’une nouvelle envie, une nouvelle idée, se concrétisent. Une publication à mi-chemin du livre et de la revue. Un rythme semestriel, un tirage à 2000 exemplaires, une collection limitée à huit thèmes et la complicité de deux graphistes, Oliver Andreotti et Pénélope Monnet. Premier thème abordé : Dormir (suivront, en quatre ans, Manger, Séduire, Travailler, Se déplacer, Parler, S’amuser/S’ennuyer et Faire l’amour), et à nouveau une brochette de talents imparables, singuliers et différents, tels, textes et photos mêlés, James Casabere, Antoine Volodine, Miguel Rio-Branco, Touhami Ennadre, Dolorès Marat, Peter Sarkissian, Andres Serrano, Kiki Smith, Ernesto Neto, Martin Parr, Jérôme Charyn, Seton Smith... autant de cartes blanches accordées dans le cadre d’une thématique très stricte. Résultat, une douzième merveille à découvrir ce mois-ci depuis un stand à Paris Photo au Carrousel du Louvre jusqu’à une exposition chez Colette en passant par une vitrine à La Hune. Une fois encore, Coromandel Express nous entraîne au grand large, et si les trois ne font pas la paire, force est de constater qu’il s’agit bel et bien d’un brelan d’as.

PARIS, Colette, 213, rue Saint-Honoré, 75001 Paris, 01 55 35 33 90.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°521 du 1 novembre 2000, avec le titre suivant : Le grand large de Coromandel

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