L’exposition des Galeries nationales du Grand Palais confrontent du mobilier d’époques et de styles différents. Le mobile du commissaire, lequel fait peu de cas du design moderne et contemporain, reste énigmatique.
Près de quinze ans après s’être immiscé sous les verrières de la nef centrale avec la fameuse rétrospective « Design, miroir du siècle », le design fait son retour au Grand Palais, à Paris, dans les Galeries nationales adjacentes. Quelque 1 200 m2 accueillent aujourd’hui une exposition baptisée « Design contre design, deux siècles de créations », qui réunit deux cents pièces – quasi exclusivement du mobilier – datant de la révolution industrielle à nos jours. Le parcours se compose de trois grandes parties. La première explore la forme à travers une série de « rapprochements formels » de meubles d’époques diverses. La deuxième se penche sur trois sources d’influence : le corps humain, les animaux et la nature. Le troisième et dernier volet examine quant à lui un autre terrain d’inspiration, l’architecture, à travers une suite de meubles « architecturaux » et de « mini-architectures ».
Certaines pièces sont splendides. Le propos, en revanche, l’est moins. Cette exposition qui déclare se vouer au design parle de tout… sauf de design. Pis, elle va même jusqu’à le dénigrer. À aucun moment d’ailleurs n’est défini clairement ce qu’est le design. En outre, toutes les pièces sont placées sur un même plan, qu’elles soient l’œuvre d’un artisan, d’un décorateur, d’un designer ou d’un artiste. « Plutôt que de raconter une histoire, aujourd’hui trop longue et trop dense, “Design contre design” préfère opérer des raccourcis à travers le temps afin de susciter des images et d’évoquer des histoires », explique Jean-Louis Gaillemin, maître de conférences à l’université Paris-Sorbonne (Paris-IV) et commissaire de l’exposition. Pour éviter sans doute d’être trop « long » ou trop « dense », celui-ci dessine une histoire du design très simple, pour ne pas dire simpliste. D’un côté les meubles rectilignes (« La droite »), de l’autre les meubles arrondis (« La courbe »), enfin au fond, les meubles « biscornus » (« Du difforme à l’informe »). Ainsi se déploie le premier volet de l’exposition, lequel explore des formes à travers les âges sans éviter pourtant le recours aux clichés (« La droite est rectitude, honnêteté et virilité », « La courbe est licencieuse, coûteuse et féminine »…). S’y succède une série de « rapprochements formels » qui font fi de tout contexte – historique, technique… Ces associations de pièces fonctionnent le plus souvent par binômes. Exemple : tel meuble du début du XIXe siècle est mis en regard de tel autre du XXe siècle. Dans ces « dialogues », le visiteur distinguera certes des « traits » communs, quelque ligne ou gabarit analogues, mais, honnêtement : qu’est-ce qui unit un sofa en merisier de Josef Danhauser (1825) à la chaise longue en carton ondulé de Frank Gehry (1987) ? Tout les sépare : les matériaux, les techniques, les logiques. La démonstration vire au risible lorsqu’un siège aérien du designer Eero Saarinen – la chaise Tulip – se voit « accouplé » à un pesant fauteuil d’époque Biedermeier. Suffit-il que ce dernier reposât sur un pied unique et que son assise soit quelque peu enveloppante pour en faire illico l’ancêtre officiel du premier ? Assurément non. Autre duo : une chaise au dossier en volutes de 1825 et la fameuse chaise Bistrot de Thonet. Ce tandem permet à Jean-Louis Gaillemin d’égratigner l’essence même du design : « On a trop souvent dit qu’une nouvelle technique engendrait de nouvelles formes, c’est faux », affirme-t-il. « Affirmation erronée ! », est-on tenté de lui répliquer, car il existe bien une différence gigantesque entre ces deux sièges : la courbe sculptée dans un billot de bois n’a strictement rien à voir avec l’arc de bois courbé issu du processus industriel inventé par le fabricant viennois.
« Créateurs fatigués »
De fait, toute l’exposition joue à l’envi de ce même dispositif : celui d’un « rapprochement » d’objets qui tient plus de la juxtaposition d’images, voire de l’exercice de style cher aux revues de décoration, que d’une réflexion sur le design. En outre, la pertinence de certaines pièces laisse perplexe. Que viennent faire, par exemple, les étagères T5 de Martin Szekely dans la section dévolue au mobilier « biscornu » ? Pensées et conçues au cordeau, elles en sont la parfaite antithèse. Et quid de cette lampe à huile du XVIe siècle, un Satyre accroupi exhibant ses fesses ?
Bref, il est légitime de s’interroger sur l’objectif réel visé par le commissaire. S’agit-il pour lui de réhabiliter le néoclassicisme ? Voire de l’élever au rang de père biologique du design au détriment de ses géniteurs putatifs – William Morris (et les Arts & Crafts) et Walter Gropius (et le Bauhaus) en tête ? Car, à y regarder de près, Jean-Louis Gaillemin fait peu de cas du design moderne et contemporain. En témoignent des cartels cinglants contre les modernes (« La table rase des modernes croyait avoir définitivement éliminé les styles, mais ils sont revenus. ») ou contre des designers des années 1980 (« Les arts primitifs viennent au secours des créateurs fatigués »). Pis, le célèbre aphorisme de Mies Van der Rohe, « Less is more » [« Moins c’est plus », sous-entendu « il faut éviter le superflu »] est ici allègrement détourné en un « Enfin ne rien faire », posture qui, selon l’universitaire, constituerait « le modèle rêvé des designers ». Un comble !
L’ultime salve est portée en fin de parcours où la seule thématique mise en avant pour illustrer le design actuel s’intitule « Récupération ». Tout est dit. Les designers seraient-ils aujourd’hui si peu inspirés qu’ils n’aient d’issue que le « recyclage », au sens propre comme au figuré ? Triste constat.
En 1993, « Design, miroir du siècle » possédait au moins le mérite de montrer les multiples visages du design. Ici nous sommes confrontés à une vision restrictive qui oublie notamment les dimensions techniques, économiques et sociologiques de cette pratique au profit de l’unique plaisir des formes. Cela ne sert pas le design, bien au contraire.
Jusqu’au 7 janvier 2008, Galeries nationales du Grand Palais, 3, avenue du Général-Eisenhower, 75008 Paris, tél. 01 44 13 17 30, tlj sauf mardi 10h-20h, nocturne le mercredi jusqu’à 22h. Cat. éd. RMN, 374 p., 530 ill., env. 59 euro, ISBN 978-2-7118-5337-3
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Le design à contresens
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Abonnez-vous dès 1 €- Commissaire de l’exposition : Jean-Louis Gaillemin, maître de conférence à l’université Paris-Sorbonne (Paris-IV) - Scénographie : Hubert Le Gall - Nombre de pièces : 200 - Surface d’exposition : 1 200 m²
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°264 du 7 septembre 2007, avec le titre suivant : Le design à contresens