Comment un artiste français inconnu au bataillona-t-il réussi à percer sur le marché ? Analyse.
Voilà encore un an, qui connaissait Lionel Estève ? Pas grand monde, assurément. Pourtant, en juin, cet artiste français était intronisé dans la section « Art Unlimited » de la foire de Bâle avec un grand mobile tournoyant.
Résidant en Belgique depuis près d’une décennie, ce Lyonnais de 38 ans a fait son entrée sur le marché en 1999 par le biais d’une exposition à la galerie Albert Baronian (Bruxelles), devenue par la suite Baronian-Francey. Ses œuvres ont depuis intégré de bonnes collections du plat pays, notamment celle de Herman Daled. « Quand on a présenté les ballons en couleur en 2002, il a tout de suite reçu un bon accueil, indique le galeriste Edmond Francey. C’était frais, en décalage avec les choses qui exigent une grosse production. Il y a un côté “fait main” qui doit toucher. » En 2003, le commissaire d’exposition Hans Ulrich Obrist le convie dans sa série d’expositions « Migrateurs » au Musée d’art moderne de la Ville de Paris. « J’étais impressionné par les microsculptures qu’il faisait alors, rappelle Hans Ulrich Obrist. En allant le voir dans son atelier, j’avais toujours pensé qu’il était belge. Quand j’ai compris qu’il était lyonnais, ça m’a paru urgent de l’introduire en France. »
Stratégie d’image
Le galeriste Jean Bernier (Athènes) le repère chez Baronian et teste quelques pièces sur la foire Frieze Art Fair de Londres en octobre 2004. La fondation d’entreprise coréenne Arario achète alors plusieurs de ses ballons. Le galeriste parisien Emmanuel Perrotin, qui avait déjà rencontré Estève trois ans auparavant, se pique d’intérêt pour ses formes ludiques. Sur Art Basel, en juin, il cède une dizaine de pièces dans une gamme de 600 à 8 000 euros.
La visibilité inopinée d’Estève repose sur un seul facteur : ses marchands n’ont pas joué petit bras. Alors qu’il lui consacre une exposition en solo dès avril 2004 dans sa galerie, Jean Bernier produit un grand mobile tourbillonnant et prend le pari de le présenter sur « Art Unlimited » à Bâle deux mois plus tard. Pari réussi, puisque les conseillers du milliardaire Bernard Arnault l’achètent pour 18 000 euros. En 2000, un collectionneur belge en avait acquis un de dimension similaire pour 4 000 euros. De son côté, Emmanuel Perrotin lui offre jusqu’au 22 octobre les deux grandes salles de son espace de la rue de Turenne (3e arr.). Une gageure, d’autant plus qu’il montre en parallèle l’Américain Daniel Arsham, plus jeune, certes, mais a priori plus commercial. Histoire d’enfoncer le clou, il présentera Estève en one-man-show les deux premiers jours de Frieze Art Fair à Londres (lire p. 25). Difficile, pourtant, pour un artiste de produire de manière stakhanoviste à la fois pour une exposition et pour une foire. Pour cela, le galeriste parisien a mis à son service son arsenal d’employés et ses méthodes rationalisées de production. « Au lieu de produire une pièce sur six mois, il s’agit d’en produire quinze dans les prochains mois », indique le galeriste. Une façon de satisfaire la demande des clients éventuels, mais aussi de permettre à l’artiste de faire rapidement le tour de la question et de passer à un autre chapitre.
Convenons aussi que Lionel Estève tombe à pic pour relancer la stratégie d’image d’Emmanuel Perrotin. Le galeriste doit retrouver un élan, après avoir capitalisé sur Maurizio Cattelan et Takashi Murakami, dont le marché corrige les excès, et sur des middle careers français comme Bernard Frize et Sophie Calle, pour lesquels il a pris le train en marche. On lui reproche aussi souvent de ne pas utiliser sa force de frappe pour promouvoir de jeunes Français. « Il y a une excitation particulière à vouloir l’imposer rapidement sur la scène internationale comme un autre artiste, confie Emmanuel Perrotin. Quand on relance la carrière d’un artiste, on ne peut pas agir sur beaucoup de leviers. On part avec les galeries et les habitudes préexistantes. Avec un artiste dont l’image n’existe pas, on peut choisir son réseau. »
Les atouts d’Estève pour une éventuelle « exportation » sont aussi d’ordre esthétique. En jouant sur une poésie légère de bouts de ficelle rappelant celle d’une Sarah Sze, il crée des pièces identifiables, tantôt baroques, tantôt évanescentes, « à la marge de l’invisible », pour reprendre la formule d’Obrist.
De l’aveu même de ses marchands, il est difficile d’y accoler une nationalité. Reste à voir si Estève pourra passer à la vitesse supérieure en terme de prix comme n’importe quel artiste étranger. Son handicap – qui peut aussi être un avantage – est d’avoir les débuts de carrière et les prix d’un jeune artiste, tout en ayant près de 40 ans.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Le cas Lionel Estève
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°222 du 7 octobre 2005, avec le titre suivant : Le cas Lionel Estève