L’art n’occupe pas une place prioritaire dans la stratégie des banques de Grande-Bretagne et leur rôle reste modeste sur le marché de l’art. Si la plupart des banques exposent quelques œuvres d’art, rares sont celles qui constituent de vraies collections. Et lorsqu’elles existent – collections de peintres écossais de la Banque Robert Fleming ou de jeunes peintres de la NatWest –, c’est sous l’impulsion déterminante d’une personne compétente à la tête de l’entreprise.
LONDRES - C’est presque par hasard que la Banque Robert Fleming a constitué l’une des plus remarquables collections d’art écossais qui soit au monde. En 1968, lorsque la banque emménagea dans ses nouveaux locaux, David Donald, le président d’alors, proposa de décorer les bureaux de tableaux de peintres écossais, en accord avec l’image de la banque. Depuis, la banque s’est constituée une collection de huit cents tableaux et aquarelles, de David Wilkie à Steven Campbell, dont treize tableaux de Samuel John Peploe.
Bill Smith, le conservateur de la collection Fleming, dispose d’un budget d’acquisitions de 30 000 livres par an (environ 250 000 francs). Il achète aujourd’hui des œuvres abstraites de William Johnson, mais l’objectif reste le même : enrichir la collection d’œuvres de peintres écossais. "La collection n’est pas considérée comme un investissement, une œuvre est achetée pour améliorer la qualité de vie et susciter l’intérêt du personnel et des clients". Il n’empêche qu’aucun des tableaux de Peploe n’a coûté plus de 2 000 livres (soit environ 17 000 francs) à la banque, et qu’en 1989, époque où les coloristes écossais étaient très recherchés, sa cote a atteint 100 000 livres (835 000 francs).
La collection d’art de la NatWest est, elle aussi, le reflet de l’évolution de la banque. Dans les années soixante, sous l’impulsion de son président Frank Barlow, la banque a commencé à acquérir des œuvres pour la décoration de son quartier général de Manchester. La NatWest avait fait appel à l’époque à la Whitworth Gallery qui avait recommandé, entre autres artistes, Patrick Heron, Frank Auerbach et David Hockney. Sir Leslie Mather, qui présidait NatWest dans les années 1970-1980, a enrichi ces premières acquisitions.
Puis, sous la présidence de Lord Boardman, à l’occasion de l’installation de son siège dans la Tour NatWest, au cœur de la City à Londres, la banque passe de nombreuses commandes à des artistes contemporains – John Hoyland, Ivan Hitchens, Bruce McLean – sur les conseils de la Contemporary Art Society. Depuis 1990, Lord Alexander poursuit cette politique d’achat sur une base solide.
"L’art est un investissement, dit-il, et même si l’on n’a pas l’intention de vendre, les achats se sont révélés profitables". Selon Harry Morton, conservateur de la collection "Une évaluation récente des toiles acquises pour la Tour NatWest s’élève à 521 000 livres (soit 4 350 350 francs). Elles avaient été acquises pour 126 000 livres en 1981 (environ 1 million de francs). Cela représente une plus-value de 412 %. Si nous avions placé cet argent sur le Footsie (index des compagnies), elle n’aurait été que de 340 %."
Depuis la crise du début des années quatre-vingt-dix, la banque avait pratiquement suspendu tout mécénat. Elle a maintenant lancé un prix annuel pour les jeunes artistes, doté d’un montant de 5 000 livres (près de 42 000 francs), avec la promesse que les œuvres des jeunes peintres retenus sur la liste restreinte pourront trouver leur place dans la collection de la banque.
Mécénat et investissement
La NatWest souhaite à présent faire connaître sa collection et organise des expositions à Bristol et à la Whitworth Gallery. Aujourd’hui conseillée par le marchand de Bond Street, Anthony Mould, elle achète les œuvres de jeunes artistes encore inconnus, et son action paraît plus philanthropique : "Il s’agit de mécénat, mais nous gardons à l’esprit l’idée d’investissement ", souligne Harry Norton. Le choix d’Anthony Mould traduit la nécessité pour la banque de se protéger contre l’accusation de gaspiller l’argent des actionnaires. Mais la tradition de mécénat de la NatWest est connue, et rien n’indique qu’Anthony Mould, qui suit toutes les expositions d’étudiants, sélectionne des artistes qu’il présenterait dans sa propre galerie.
La banque Barclay’s a rivalisé pendant un temps avec la NatWest en organisant un concours annuel – doté d’un prix de 100 000 livres (835 000 francs) – ouvert aux diplômés des écoles des Beaux-arts. Mais comme celles-ci se sont orientées de plus en plus vers l’art conceptuel et l’art vidéo à mesure qu’elles se désintéressaient du figuratif, le prix a été supprimé. Les œuvres avaient fini par être si éloignées du goût des cadres de la banque qu’ils refusaient même de les exposer dans leurs locaux.
Le rôle de mécène est plus facilement assumé par les banques privées, souvent dirigées par les mêmes familles depuis des siècles, qui peuvent acheter des œuvres d’art de grande valeur. Les salles de réception et de conseil d’administration des banques Rothschild, Lazard ou Hill Samuel sont décorées de natures mortes hollandaises et de peintures anglaises traditionnelles : portraits, scènes de chasse et vues de Londres.
Les banques britanniques doivent dorénavant prendre en considération l’implantation des banques étrangères, notamment dans la City, et faire front à cette concurrence qui vise leur clientèle, mais aussi leurs actions de mécénat. En janvier 1994, le Crédit Suisse – qui a acquis des œuvres de peintres contemporains comme Tony Cragg, Ian Hamilton Finlay et Sol LeWitt – a ouvertdans la City une filiale dont le restaurant est décoré de toiles de Bruce McLean.
Les banques britanniques, ignorantes en matière d’art il y a dix ans, admettent désormais l’importance du mécénat. Le monde de l’art ne peut que s’en réjouir, même si les achats sont encore trop limités pour exercer une influence sur le marché de l’art.
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L’affaire du président
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°10 du 1 janvier 1995, avec le titre suivant : L’affaire du président