Conseiller d’État, Philippe Bélaval, 42 ans, est directeur général de la Bibliothèque nationale de France depuis janvier 1994. La BnF va commencer le mois prochain le déménagement des 10 millions d’ouvrages imprimés stockés rue Richelieu vers le nouveau site de Tolbiac, dont les salles de lecture grand public sont ouvertes depuis un an. Auparavant, il gérait une autre institution culturelle majeure, l’Opéra de Paris, dont il a été directeur général de 1990 à 1992. Il commente l’actualité.
Que pensez-vous de la diminution du budget britannique de la Culture ?
Les travaillistes étaient arrivés au pouvoir en suscitant beaucoup d’attente des milieux culturels. Avec ce budget, on a un peu le sentiment d’une douche froide. Dans une enveloppe qui ne progresse pas, la situation est cependant très contrastée entre les institutions : certaines bénéficient d’augmentations, ce qui évidemment ne fait qu’accroître l’inquiétude des autres. La situation est assez voisine de celle qu’on a connue ici. Madame Trautmann a dû constater, à son arrivée en juin 1996, que les moyens du ministère étaient très diminués. Il y a donc des deux côtés de la Manche les mêmes difficultés à convaincre de la légitimité de la dépense culturelle. Dès que se présentent des problèmes budgétaires, la culture fait partie des premières victimes, alors qu’elle n’est pas un des postes les plus lourds de la dépense publique et qu’elle est l’un des plus nécessaires. La culture permet de rassembler les gens. À un moment où le lien social tend à se distendre, la dépense culturelle devrait au contraire être promue. Les gouvernements me paraissent avoir une responsabilité très grande à cet égard.
Cette diminution est à mettre en relation avec les résultats spectaculaires de la Loterie.
En effet, il ne faudrait pas que leur progression justifie un recul de la dépense publique. Nous avons un phénomène similaire en France avec le mécanisme extrêmement précieux des dations. Le ministère des Finances est parfois tenté de diminuer d’autant les crédits d’acquisition des musées. Il faut donc se battre en permanence pour maintenir les positions acquises, et si possible progresser.
Que vous inspire le succès phénoménal de Titanic ?
Ce qui me frappe c’est que le film a coûté plus cher que la construction du paquebot. On prend donc conscience qu’une opération culturelle, conçue pour avoir une audience internationale, doit aujourd’hui mobiliser des capitaux considérables. Par ailleurs, je trouve intéressant de constater que Titanic est un grand succès à la fois auprès du public et de la critique. Celle-ci, curieusement, comme pour s’excuser de son engouement, a pris beaucoup de précautions pour justifier cette approbation. Elle a cherché des arguments autres que le simple plaisir du spectateur devant une histoire bien racontée. Elle a expliqué que les jeunes héros sont des personnages qui se battent contre le destin, que le naufrage était un signe prémonitoire de la chute la société du XIXe siècle en 1914… J’avoue n’avoir rien vu de tout cela.
Y-a-t-il des leçons à tirer du succès de ce film en matière d’expositions ?
Les expositions qui parviennent à atteindre un succès international sont rares. Au cours des dix dernières années, seules “Vermeer” et “Barnes” ont représenté un tel événement. Il est clair que l’exposition, par sa nature même, ne peut pas mobiliser un public aussi large que le cinéma. Cependant, je crois qu’il faut inventer un nouveau mode d’exposition ; celui-ci est encore trop passéiste, trop centré sur un seul lieu et une seule discipline. On a du mal à convoquer plusieurs formes d’art et de techniques. Ainsi, l’exposition du Musée des arts et traditions populaires, “Les musiciens des rues de Paris”, est très intéressante. Il y a l’effort méritoire d’inclure dans le parcours des événements sonores et des chanteurs qui se produisent à intervalles réguliers. Mais pour autant, le parti reste très classique, muséologique, et pour tout dire un peu convenu. J’espère que nous saurons trouver une nouvelle forme d’événement culturel. À la Bibliothèque, où nous sommes par nature pluridisciplinaires et multimédia, nous y réfléchissons.
Que pensez-vous de l’exposition “Petithory” ?
Je relève qu’elle porte comme sous-titre “un brocanteur de génie”, au moment où le marché de l’art français se prépare à accueillir les ventes aux enchères des grandes sociétés étrangères. Petithory, c’est un personnage d’origine modeste qui avait un stand aux Puces. Il a été capable de sélectionner des œuvres qui forment une très belle collection, dont les fleurons sont deux bronzes qu’il a identifiés comme ayant appartenu à Louis XIV. L’inévitable libéralisation du marché de l’art ne doit pas faire oublier ou détruire d’autres formes de commerce. Tous ceux qui, comme Petithory, ont le goût et le talent de découvrir des objets et constituer une collection doivent pouvoir encore le faire, pour le plus grand bien de l’enrichissement du patrimoine.
L’ouverture d’un “Emporio Armani” à Saint-Germain-des-Prés a suscité des critiques.
L’essentiel, à mes yeux, est que Saint-Germain-des-Prés reste un quartier vivant. Aussi ai-je un peu de mal à m’indigner qu’un commerce succède à un autre commerce. Le Drugstore a correspondu à une période commerciale ; son remplacement par Armani, qui correspond davantage au goût d’aujourd’hui, n’est pas en soi une catastrophe. En revanche, je regrette que cette boutique ressemble comme deux gouttes d’eau à celles que l’on peut voir sous toutes les latitudes du monde. On est dans l’ambiance cosmopolite des boutiques de luxe, des aéroports, des centres commerciaux du monde entier. La spécificité du style parisien ou français a été oubliée.
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L’actualité vue par Philippe Bélaval
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°54 du 13 février 1998, avec le titre suivant : L’actualité vue par Philippe Bélaval