Olivier Kaeppelin vient de quitter la direction de l’Inspection de la création artistique au ministère de la Culture pour rejoindre la nouvelle direction de France Culture, où il avait été producteur de 1978 à 1989. Il a assuré plusieurs commissariats d’expositions sur la jeune création française, tout en étant l’auteur de livres de poésies et en achevant actuellement un ouvrage sur Alberto Giacometti. Il commente l’actualité.
Vos impressions de la foire de Bâle ?
La qualité des œuvres était très grande. Au premier étage, où était présentée la jeune création, cette foire démontrait une fois de plus qu’elle est étonnante d’exigence. Je ne partage pas l’analyse selon laquelle la photographie était à ce point dominante. Celle-ci, comme la vidéo, est très remarquée parce qu’elle existait moins auparavant, que son émergence depuis cinq ans se confirme. Si l’on observait bien, la peinture était très présente, plus par exemple qu’à la Biennale de Venise. Une certaine banalisation des thèmes des œuvres photographiques que l’on voit à Bâle m’inquiéterait davantage : la frontalité des portraits – héritière d’August Sander et retravaillée par Thomas Ruff, Thomas Struth et maintenant par tellement d’autres... –, le paysage urbain ou industriel… Pour un très beau Jeff Wall, un Andreas Gursky, un Stéphane Couturier, il y avait beaucoup d’images qui me semblent être l’équivalent de l’académisme en peinture à la fin du XIXe, où l’on faisait des grands panoramiques de palais, beaucoup de portraits... En revanche, s’il faut constater des évolutions, j’ai relevé beaucoup moins d’installations qu’il y a trois ans, ou qu’à l’Arco l’an dernier. Est-ce parce que le marché les accepte moins, ou que les artistes les mettent en scène dans d’autres types de lieu ? La question se pose. Dans le grand espace dévolu à la sculpture, il y avait cependant une très belle installation de Daniela Keiser, mais l’essentiel relevait de la sculpture, Deacon et Louise Bourgeois bien sûr, mais aussi Chen Zhen et James Lee Byars... D’une manière générale, cette foire permet à la fois de découvrir et de corriger son sentiment sur des artistes à travers leurs dernières productions.
L’emballement des prix ?
Je n’ai pas d’informations précises, ni sur les prix atteints ni sur le volume d’affaires des transactions de la foire. Mais tout le monde sait que depuis deux ans les prix ont recommencé à grimper dans les ventes publiques, et que les dernières, à New York, ont atteint des résultats spectaculaires. Ceci a eu des conséquences à Bâle. Ainsi, si l’on voyait beaucoup de Christopher Wool à Bâle, c’est parce que c’est un très bon artiste, mais aussi parce que les prix ont augmenté de façon étonnante lors des ventes de ce printemps. Il y a un redémarrage déraisonnable des prix. Pour la peinture new-yorkaise par exemple, il est étonnant que la cote d’un artiste augmente considérablement, alors que celle d’autres, comme Jonathan Lasker, qui est un très grand peintre, à l’égard d’un Clyford Still, ne bénéficie pas de la même accélération. Les engouements ne tiennent pas, comme on le sait, à un véritable regard sur l’art. Il y a des effets de mode, mais surtout de stratégie, de soutien. La très grande qualité de Basquiat lui permet d’atteindre des prix extrêmement élevés, mais lorsqu’il les dépasse du tiers ou du double, il y a là des signes d’une spéculation qui n’a pas comme seul ressort le fonctionnement du marché à partir de données artistiques. Rappelons qu’il y a près de dix ans, les prix étaient devenus insupportables pour les institutions publiques, et que les collectionneurs qui ont été découragés par l’art contemporain se sont par exemple tournés vers l’art africain ou la photographie. Il a été impossible pour les premiers de continuer à exercer leur mission, pour les seconds leur passion. Les conséquences ont été une terrible perte de confiance et des attaques contre l’art contemporain, vu désormais comme lieu d’usurpation, de mensonge, etc. Il faut absolument éviter ce jeu désastreux.
N’est-ce pas un vœu pieux dans une économie marchande et libérale ? Que peut-on faire ?
Cela ne dépend que des acteurs du marché. On ne peut qu’espérer qu’ils réfléchissent aux conséquences que je viens d’évoquer pour éviter un nouveau retour de bâton. Si des marchands acceptent des hausses incompréhensibles et s’ils rencontrent des acheteurs qui les suivent en toute inconscience, on risque d’assister au même phénomène. Ce serait une grave erreur, car contrairement à toute marchandise, l’art recèle du symbolique. Il y a une alchimie difficile à cerner, et si les prix chutent de façon incontrôlée, l’œuvre et l’artiste deviennent l’objet d’accusations et l’art contemporain en général.
Que pensez-vous du développement des ventes d’art sur l’Internet ?
S’il s’agit d’un échange d’informations conduisant à ce que l’œuvre soit inventoriée avant d’être collectionnée, c’est très bien. Sinon, c’est assez navrant. Cela ne ferait qu’accentuer l’illusion de l’œuvre d’art comme objet, ce qu’une bonne œuvre n’est jamais. L’essence d’une œuvre, c’est la présence. Vendre des œuvres par Internet, c’est empêcher ce rapport à la présence, je n’imagine pas qu’un véritable collectionneur puisse se décider ainsi.
Un mot sur la Biennale de Venise.
Je partage tout à fait l’idée d’Harald Szeemann, sur l’importance de vivre la réalité matérielle et spirituelle de l’œuvre. Je crois que la scène artistique n’a jamais été aussi vivante que depuis quatre ou cinq ans. Montrer son énergie est essentiel, mais une réserve toutefois : pour y parvenir, il a recours à une certaine théâtralisation, à la dimension “dilatée” pour frapper l’imagination. Une grande œuvre n’a pas obligatoirement à voir avec le théâtre, et certains artistes ont été invités à occuper des espaces qu’ils ne maîtrisent pas. Mais il y a des œuvres passionnantes dans l’Arsenal (Doug Aitken, Chen Zhen...), comme dans les pavillons. Celui de Jean-Pierre Bertrand et Huang Yong Ping m’a beaucoup touché par leur travail sur la lumière, le vide, le mirage, l’éloignement de la matière, le passage... Il y avait un sentiment de vitalité.
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L’actualité vue par Olivier Kaeppelin
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°86 du 2 juillet 1999, avec le titre suivant : L’actualité vue par Olivier Kaeppelin