Après des études en histoire de l’art, Marie-Claude Beaud a été, de 1969 à 1978, conservateur, puis directeur du Musée de Grenoble, avant d’être conservateur du Musée de Toulon jusqu’en 1984. Elle a dirigé la Fondation Cartier de 1984 à 1994, puis l’American Center jusqu’en 1996. Elle est conservateur général des musées de l’Union centrale des arts décoratifs depuis février 1997. Elle commente l’actualité.
Que vous inspirent les projets qui viennent d’être dévoilés par la Mairie de Paris pour les célébrations de l’An 2000 ?
Je ne les ai pas tous lus, mais j’espère seulement que l’on ne va pas encore massacrer les Tuileries. C’est un jardin extraordinaire. À force d’y mettre tout et n’importe quoi, on esquinte ce qui est l’un des lieux les plus magiques de Paris.
Une porte devrait relier le Musée du Louvre et celui de la Publicité. Ne craignez-vous pas une annexion du second par le premier ?
Le Louvre est bien trop puissant pour annexer ce petit territoire. Il faut que nous gardions notre indépendance, mais nous voulons vraiment faciliter la circulation dans le bâtiment. Le passage se fera à hauteur des Objets d’art, côté Louvre. Évidemment, il y aura un petit choc puisque c’est Jean Nouvel qui fait la scénographie du Musée de la Publicité.
Une nouvelle loi sur la sortie des biens culturels est en projet. Que pensez-vous du système actuel ?
Nous ne sommes pas dans une société libérale. À ce niveau, tout est contrôlé par l’État. Il y a une fuite invraisemblable du patrimoine, dans les art décoratifs, en partie à cause du tout État, parce que les Français qui en ont les moyens n’investissent pas dans l’œuvre d’art quelle qu’elle soit, ou peu par rapport aux Anglais, Allemands ou Italiens. Si l’on veut encourager les particuliers à acheter et à donner aux musées, il faut assouplir ce système. L’Europe risque de changer les choses puisque les autres pays sont plus libéraux. Cependant, il aurait été catastrophique que le meuble de Groult, que l’on vient d’acheter grâce au Fonds du patrimoine et à un mécénat privé, parte à l’étranger. De la même manière, les archives du grand soyeux lyonnais Bianchini-Férier vont être dispersées, c’est une mine d’or. Dans tout autre pays, des mécènes auraient sans doute fait des propositions. Pour garder ce patrimoine en France, l’État est donc, comme toujours, finalement le seul recours. À l’Union centrale des arts décoratifs, nous touchons des domaines qui suscitent encore moins d’intérêt que la peinture : les arts décoratifs, le design, la publicité ou la mode. Il faut vraiment encourager les particuliers. Il y a beaucoup d’argent en France, mais le milieu de l’art, dont je fais partie, ne sait pas s’adresser à un autre public. Le réseau de l’art s’est enfermé sur lui-même, n’a pas regardé ailleurs par snobisme, par ignorance, ou parce qu’il pensait que l’âge d’or pouvait durer. Il existe tout un milieu qui n’est pas forcément éduqué pour l’art ou passionné, mais qui a les moyens et l’envie de collectionner. Nous n’avons pas su le générer, en partie à cause du tout État.
Le système français vous paraît vicié ?
Il y a toujours eu beaucoup plus d’argent pour Paris et un déséquilibre entre arts majeurs et arts mineurs, entre la culture populaire et la culture d’élite. Venant de Province, y ayant travaillé, je sais très bien dans quel mépris nous sommes tenus. Dans la culture, les énarques prennent de plus en plus le pouvoir parce qu’ils savent gérer, équilibrer des budgets et suivre une politique, mais ils ne savent pas prendre des risques, et la création sans risque et sans vision, je ne connais pas. Il y a toujours des exceptions, mais elles ne font que confirmer la règle. Je trouve cela insupportable. Je pense que c’est catastrophique lorsqu’un directeur d’une institution culturelle n’est plus chef d’établissement et qu’il n’en a plus la responsabilité financière. Il n’y a pas d’autre pays au monde où, comme en France, une grande école domine l’État. Je pense que l’on se trompe. Il faudrait arrêter de penser que les professionnels de la culture passent leur temps à mal dépenser l’argent. Aujourd’hui, il est de bon ton de ne pas faire confiance aux artistes, et pourtant c’est d’eux que viendra le changement ; les inventeurs, ce sont eux.
Une exposition vous a-t-elle marquée dernièrement ?
Rothko, sans surprise, mais avec beaucoup de beauté dans ce lieu. Je n’avais jamais retrouvé la même poétique qu’à Houston, dans la Chapelle. Seul Turrell m’a donné la même émotion. C’est une magie que l’on peut retrouver devant un paysage incroyable ou en écoutant de la musique. J’avais vu l’exposition à New York, mais l’espace du Whitney était plus austère. Le bâtiment de Breuer était paradoxalement plus dur. L’exposition de Pollock à New York m’a en revanche complètement assommée. La première partie montre que c’était un peintre incroyablement habile, quelqu’un qui assimilait comme un vampire toute la peinture. Tout d’un coup, il y a trois années fulgurantes, complètement folles, et géniales. C’est vraiment l’inverse de Rothko. Dans le domaine de la mode et du design, comme dans les arts plastiques, la vitalité de la création est extraordinaire. Paris reprend une vraie place. Milan, Cologne sont très forts. “100 % Design”, à Londres, était aussi spectaculaire. À Paris, au moment du Salon du meuble, il y avait certes de vieux dinosaures italiens, mais beaucoup de jeunes tels que Matali Crasset, Arik Levi, Jean-Marie Massaud, Adrien Gardère. Ce qui est intéressant, c’est que les créateurs travaillent ensemble, se connaissent entre eux. Matali Crasset sait qui est Fabrice Hybert qui sait qui est Josephus Thimester. Allez à Glassbox et au Festival d’Hyères, et vous verrez que vous n’avez rien à craindre, ni des artistes ni des professionnels.
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L’actualité vue par Marie-Claude Beaud
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°76 du 5 février 1999, avec le titre suivant : L’actualité vue par Marie-Claude Beaud