Né à Kyôto en 1949, Kichizaemon XV est le quinzième descendant de la dynastie Raku, célèbre pour des céramiques au départ résolument monochromes, rouges ou noires. Diplômé en 1973 de la section de sculpture de l’université des Beaux-Arts de Tokyo, il est ensuite parti deux ans à Rome pour étudier à l’Académie des beaux-arts, avant de reprendre le four familial. En 1981, il hérite du nom de Raku Kichizaemon pour perpétuer et renouveler l’art du fondateur, Chôjirô. À l’occasion de l’exposition Raku qui vient de s’achever à la Maison de la culture du Japon, il a séjourné plus de quinze jours à Paris, chose rare pour un Japonais qui ne reste en moyenne guère plus de trois jours dans notre capitale. Le temps donc de voir des expositions et de nous livrer ses commentaires.
Comment un artiste japonais voit-il Paris, lorsqu’il y séjourne plus de deux semaines ?
Votre ville m’intéresse car elle confronte des quartiers anciens, très traditionnels, à des réalisations architecturales très audacieuses. Je suis allé voir la Bibliothèque nationale de France qui m’a beaucoup impressionné, comme si elle voulait symboliser une capitale de l’intelligence et de la culture. Le côté colossal, monumental du bâtiment montre la fierté française d’être un peuple cultivé. Son architecture osée m’intéresse, mais je me demande comment ceux qui y travaillent la ressentent et utilisent les équipements. À côté de ce Paris monumental, j’ai parcouru des quartiers où la vie me paraît très dense. Néanmoins, j’ai le sentiment qu’un quartier comme Saint-Germain-des-Prés est moins animé qu’il y a vingt ans, lorsque je l’ai connu. J’ai eu peu de temps et ce ne sont que des impressions rapides, mais les jeunes m’ont paru beaucoup plus sages. J’ai ressenti moins de vitalité, de turbulence, de révolte.
À la Bibliothèque nationale, vous avez vu l’exposition “L’art du nu au XIXe siècle”. Qu’en pensez-vous, vous qui appartenez à une culture où la représentation du nu n’existait pratiquement pas chez les artistes de ce siècle, hormis à travers les estampes érotiques ?
Je l’ai trouvé très intéressante. Elle m’a rappelé l’époque où je pratiquais la sculpture, notamment en Italie où je travaillais d’après des modèles. Ce travail m’avait dérouté. Parfois, je me demandais “pourquoi s’exprimer ainsi ?” À l’exposition, le nombre important des photographies accrochées, la variété des poses représentées m’ont surpris. Certaines m’ont rappelé les antiquités grecques, d’autres des sculptures de Rodin. J’ai perçu alors une grande différence entre l’Occident et l’Orient. Pourquoi les Occidentaux attachent-ils tant de valeur au corps humain, me suis-je alors demandé. Pour un Japonais, mettre le corps autant en avant, lui consacrer une exposition n’est pas très naturel, et une telle question est normale. Je constate que les Occidentaux s’intéressent plus à l’être humain, qu’ils mènent une recherche analytique sur le corps, qu’ils le décortiquent : la chair, le muscle, le squelette, le sexe… Ils vont jusqu’au bout, c’est une grande différence culturelle. Nous, nous sommes imprégnés de sculptures statiques, comme celles de Bouddha, ou d’autres, toujours drapées, ou de portraits commandés par des seigneurs. Sinon, la peinture n’offre que des paysages.
Qu’avez-vous pensé du propos de l’exposition, qui veut étudier à travers le nu, les relations entre photographie et peinture ?
J’ai bien remarqué des répétitions, des rapprochements entre photographie et peinture, dans les poses notamment. Mais je ne savais pas que l’exposition traitait précisément de ce thème, et tous les cartels, toutes les explications, étaient en français… Je l’ai vue à ma façon.
Le portrait est également très présent chez Georges de La Tour. Qu’avez-vous pensé de l’exposition au Grand Palais ?
J’ai eu un peu la même difficulté. Dans l’exposition, il y a beaucoup de copies d’après des originaux perdus, mais je ne pouvais pas lire les cartels… Alors, un visiteur étranger comme moi peut croire qu’il n’y a que des œuvres originales. Mais se tromper peut être intéressant ! J’ai été intéressé par l’opposition entre les tableaux diurnes et nocturnes, l’aspect érotique ou serein de certaines toiles. L’homme est en face des ténèbres et, brusquement, la lumière l’éclaire sur son existence. Cela m’a rappelé un passage du Dit du Genji où un personnage en attend un autre dans l’obscurité.
Est-ce une peinture facile à appréhender par des Japonais ?
Oui, je le crois. Même si les œuvres de La Tour me paraissent très religieuses, elles représentent souvent des êtres humains qui rendent le tableau accessible, ce qui n’est pas le cas par exemple des icônes, qui créent une distance pour les Orientaux.
Enfin, vous êtes allé voir la rétrospective Gilbert & George.
Je connaissais seulement vaguement une ou deux pièces que j’avais vues au Japon. Ils se mettent en scène dans leurs photographies comme s’ils bravaient le monde et me paraissent plus impliqués que d’autres artistes dans leur propre message contestataire. Mais je ne l’ai pas toujours perçu clairement. L’individu est face au monde, mais cette relation n’est pas toujours faite d’harmonie. Dans ce décalage, cette rupture, l’art devient possible.
Pour ceux qui auraient manqué l’exposition, reste le catalogue Raku, Une dynastie de céramistes japonais, éditions Umberto Allemandi, 220 p., 150 F.
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L’actualité vue par Kichizaemon XV
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°50 du 19 décembre 1997, avec le titre suivant : L’actualité vue par Kichizaemon XV