Du 11 au 13 octobre, Paris accueillera le tout premier Forum international de l’économie mauve, placé sous le patronage de l’Unesco et du Parlement européen. Lancé en mai 2011, ce concept un peu abscons vise à réconcilier le culturel et l’économique. Explications par Jérôme Gouadain, secrétaire général et fondateur de Diversum, l’association porteuse du projet.
Sophie Flouquet : Que signifie le terme d’« économie mauve » ?
Jérôme Gouadain : Ce concept est né de la volonté d’établir un parallèle avec l’économie verte, en partant du principe que la culture ou le culturel constituent également un environnement. L’économie verte se place dans une logique de préservation de l’environnement naturel. L’économie mauve comprend l’ensemble des activités qui concourent à enrichir ou à diversifier l’environnement culturel, à valoriser l’identité culturelle dans toutes ses composantes. L’ensemble des activités humaines peut avoir un impact culturel, de manière volontaire, par le biais de la création ou du patrimoine, mais aussi par le biais des effets induits par d’autres activités.
À titre d’exemple, quand un constructeur automobile fabrique un véhicule, il ne cherche pas à avoir un impact culturel. Pourtant, le design de la voiture produite a bel et bien un impact culturel induit. L’ensemble de ces effets constitue une empreinte culturelle.
S. F. : Au-delà de cette approche conceptuelle, quels sont vos objectifs ?
J. G. : Ils figurent dans les statuts de Diversum, notre association : faire en sorte que la dimension culturelle devienne un enjeu du développement durable. Pour cela, nous avons créé, il y a cinq ans, une agence de notation extra-financière, qui évalue les comportements des entreprises et leur impact culturel. Nous avons mis en place un système d’évaluation, en déterminant des critères très objectifs. Aujourd’hui, 1 250 acteurs sont suivis, dont 1 200 entreprises de l’hémisphère nord qui représentent 40 % de la capitalisation boursière du CAC 40. Nous essayons ainsi d’avoir une influence sur les acteurs afin qu’ils intègrent le culturel dans leur politique de développement durable.
C’est un début car il s’agit d’un champ immense et il nous faudra des années pour parvenir à orienter l’action des entreprises. Mais nous nous inscrivons dans une démarche de « conscientisation ». Et cet exercice de notation nous a permis de mesurer à quel point la culture était loin d’être intégrée aux politiques de développement durable des entreprises.
S. F. : S’agit-il donc d’un échec ?
J. G. : Non, car ce que nous mettons en place, c’est le concept d’économie mauve. L’enjeu est de montrer que les entreprises ont une responsabilité dans ce domaine mais aussi qu’il peut s’agir d’une opportunité économique, d’un réservoir de croissance. La prise de conscience internationale a bien eu lieu au sein des institutions internationales, mais cela n’est pas redescendu plus bas. L’échec est plutôt celui des acteurs culturels qui n’ont pas su se mobiliser pour prendre le train du développement durable. Aujourd’hui, le culturel demeure minimisé par rapport à d’autres enjeux. L’économie mauve leur propose un rattrapage, en rassemblant dans un même concept l’économique et le culturel qui, à priori, ne fonctionnent pas ensemble.
S. F. : Mais comment cela peut-il se traduire concrètement pour une entreprise ?
J. G. : Par deux choses : savoir s’adapter à la diversité des cultures dans la mondialisation, mais aussi valoriser la dimension culturelle de chaque produit ou service.
S. F. : Chaque produit aurait donc une dimension culturelle ?
J. G. : Oui. Voyez, dans l’alimentation, cette tendance à culturaliser les produits en insistant sur la dimension « terroir » ou « ethnique ». C’est un volet du culturel, mais qui est aujourd’hui induit par la mondialisation. Un certain nombre d’acteurs sont donc déjà engagés dans ce concept d’économie mauve.
S. F. : En mai 2011, le quotidien Le Monde publiait la première tribune plaidant pour l’économie mauve, ralliant des personnalités aussi diverses que Jean-Jacques Aillagon, alors président du domaine de Versailles, ou Mercedes Erra, présidente d’Euro RSCG. Quel était le sens de cet appel ?
J. G. : Montrer la transversalité de l’économie mauve, en insistant sur le fait que le monde de la culture est concerné, mais pas uniquement. Dans le contexte de l’économie mauve, les acteurs culturels ne vont pas modifier leurs habitudes, mais vont en être bénéficiaires. Car cette « culturalisation » de l’économie va accroître la demande de culture.
S. F. : Qu’attendez-vous de ce premier forum ?
J. G. : Un effet d’interpellation. Nous voulons montrer qu’il existe une nouvelle approche possible, très ambitieuse, qui peut se faire sans changement majeur, mais par la modification des regards. De nombreuses activités ont un impact fort dans le champ culturel, comme la construction, l’alimentation ou le tourisme. Mais posez la question à un promoteur immobilier : il s’analysera comme un acteur du développement durable et non comme un acteur culturel. L’économie mauve vise à permettre ce rééquilibrage. Nous espérons entrer dans le concret. Mais nous ne sommes pas propriétaires du concept. Il s’agit maintenant de le construire avec l’ensemble des acteurs. Ce forum vise à impliquer les décideurs. Ce n’est pas un forum sur la culture, mais un forum sur l’environnement culturel.
S. F. : À quelques mois d’une élection présidentielle, portez-vous également des ambitions politiques ?
J. G. : Notre initiative est issue de la société civile, ce qui lui donne sa force. Nous sommes une structure apolitique et nous ne cherchons pas, à ce stade, à prendre pied dans le débat politicien. Néanmoins, le forum sera un lieu de débat. Mais nous sommes lucides. Le culturel est relativement déserté par la sphère politique, ce qui conduit à des propositions très peu ambitieuses. Nous proposons quelque chose d’un autre ordre, une vision structurante.
S. F. : Peut-on imaginer la tenue d’un Grenelle du culturel ?
J. G. : Il est évident que le culturel mériterait la tenue d’états généraux ou d’un Grenelle. Mais le forum sera déjà un premier lieu d’expression.
S. F. : Dans un contexte économique aussi difficile, les entreprises n’ont-elles pas d’autres préoccupations ?
J. G. : Les temps sont difficiles, mais cela ne nous empêche pas de porter une vision. La croissance mauve peut aussi offrir une réponse à la crise car celle-ci est peut-être aussi, en partie, liée à cette distanciation entre économique et culturel. Culturaliser l’économie peut devenir l’un des impératifs des années à venir. Nous jouons donc un rôle de passeur. Tout en sachant que cette passerelle n’a pas forcément été souhaitée au départ, notamment par les milieux culturels.
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L'actualité vue par Jérôme Gouadain, promoteur du concept d’« économie mauve »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°354 du 7 octobre 2011, avec le titre suivant : L'actualité vue par Jérôme Gouadain, promoteur du concept d’« économie mauve »