Directrice, depuis 2008, du Domaine de Chaumont-sur-Loire et du Festival international des jardins qui y est organisé chaque année, Chantal Colleu-Dumond a effectué une grande partie de sa carrière à l’étranger.
Directrice du Département des affaires internationales et européennes du ministère de la Culture de 1991 à 1995, puis Conseiller culturel à Rome, elle a aussi été conseiller culturel en Allemagne et a dirigé l’Institut Français de Berlin de 2003 à 2007. Elle met en lumière l’originalité du Festival des jardins – organisé cette année du 24 avril au 20 octobre sur le thème des « sensations » – et les vocations plurielles d’un lieu qui s’est récemment ouvert à l’art contemporain.
Daphné Bétard : Qu’est ce qui fait la spécificité du Festival des jardins de Chaumont-sur-Loire ?
Chantal Colleu-Dumond : Le festival, qui chaque année invite une vingtaine de paysagistes et d’artistes, existe depuis près de vingt ans. Il est né à une période où l’on s’est mis à porter un nouveau regard sur les jardins. La force de ce festival tient au fait qu’il attire des talents de plusieurs disciplines. Nous sommes, évidemment, dans le domaine du jardin, de l’élément végétal et de la botanique, avec un travail important autour des jardins interstitiels pour assurer une réelle diversité végétale. Mais il s’agit aussi de créations conçues par des équipes pluridisciplinaires. Cette diversité des provenances artistiques fait l’originalité de Chaumont.
D.B. : Comment sont composées ces équipes pluridisciplinaires ?
C.C.-D. : Dans les équipes (de cinq ou six personnes), se trouvent plusieurs paysagistes, un botaniste – sa présence est obligatoire dans le règlement – mais aussi des designers, des architectes, des artistes, parfois même des gens du monde du théâtre. Il y a beaucoup de jeunes talents qui font leurs armes à Chaumont. Le concours étant anonyme, nous avons la surprise de découvrir chaque année une majorité de concepteurs âgés de 25 à 30 ans. Pour certains, Chaumont représente un tremplin dans leur carrière et la plupart des grands noms de l’art paysager sont passés ici. Patrick Blanc est devenu célèbre grâce à ses murs végétaux réalisés en 1994 à Chaumont. On peut donc espérer que les jeunes gens réunis cette année, aujourd’hui encore peu connus, vont devenir les paysagistes de demain. Il s’agit d’équipes autant masculines que féminines avec une réelle diversité géographique. Ils proviennent du Japon, des États-Unis, de toute l’Europe, de la Chine, de la Russie, et d’Algérie aussi pour la première fois cette année. C’est important, car cette grande diversité de talents contribue au décloisonnement entre les disciplines artistiques, un concept essentiel à nos yeux. À Chaumont, nous cultivons ce décloisonnement en permanence en passant du patrimoine au jardin, du jardin à l’art et inversement. Tout est imbriqué, hybridé, ce qui suscite de l’intérêt et une réelle curiosité du public. Je crois beaucoup en la confrontation des regards et des cultures, c’est ainsi qu’on avance…
D.B. : Comment vous situez-vous sur la scène internationale ?
C.C.-D. : Le festival est peut-être plus reconnu à l’étranger qu’en France. On nous a même demandé de créer un festival à São Paulo, nous sommes aussi sollicités par la Corée et le Japon. Il existe un équivalent au Canada, un festival des jardins à Ponte de Lima au Portugal et d’autres événements liés aux jardins, mais qui sont d’un autre ordre, comme le Chelsea Flower Show à Londres, immense manifestation organisée sur une semaine avec des moyens considérables. Nous aimons avoir des liens avec eux, mais Chaumont demeure un lieu unique de par sa dimension artistique. Ici, nous proposons une expérience totale ; le public est confronté aux mondes de l’art, du jardin, du patrimoine… il faut avoir en tête que 80 % des gens vivent en ville, donc coupés de la nature, dont ils ont pourtant besoin. À Chaumont, ils ont la possibilité de se réconcilier avec une part d’eux-mêmes.
D.B. : Depuis 2008 et l’ouverture du Centre d’arts et de nature, Chaumont dédie une part importante de son activité à l’art contemporain. Comment s’est opéré ce mariage entre le patrimoine et la création contemporaine et quelle a été la réaction du public ?
C.C.-D. : Chaumont-sur-Loire a connu une nouvelle vie en 2008 avec l’introduction de l’art contemporain sur la thématique de la nature. Nous sommes à la campagne, dans un village de 1100 habitants. Il était important, dans un territoire où l’art contemporain n’était pas présent, d’introduire les choses de manière progressive. Nous avons commencé avec Jannis Kounellis, immense artiste qui a posé l’exigence de Chaumont-sur-Loire. En raison de notre public, de cette atmosphère singulière des châteaux de la Loire et de cette thématique autour de l’art et de la nature, notre positionnement a, d’emblée, été différent, à l’opposé des préoccupations du marché de l’art. Ici, les artistes dialoguent avec la nature, dans une démarche qui relève de l’évidence. À chaque fois que les artistes viennent, même si j’ai des idées sur les endroits où ils peuvent intervenir, ils se promènent librement, un peu partout dans le domaine, dans le parc. Dans certains cas, comme cette année avec David Nash, l’endroit auquel j’ai pensé s’impose à l’artiste comme une évidence. Le plus souvent, ils prennent le temps de trouver un endroit particulier d’où l’œuvre va naître. Il est très important que l’œuvre soit à sa juste place, c’est l’une des caractéristiques de Chaumont. On évite de la rendre trop présente ou en opposition avec son environnement. L’arbre de bronze de Giuseppe Penone se situe dans un axe de perspective proche de la perfection. De même, quand Tadashi Kawamata a installé son agora sous les arbres, il a choisi un lieu où nous n’allions pas, caché par les buissons et a su nous surprendre. Ce rapport que les artistes développent avec le parc a quelque chose de magique, comme si les œuvres émanaient du lieu. Cette évidence fait que même les visiteurs (et ils sont nombreux) qui ne sont pas habitués à l’art contemporain vont être subjugués par les œuvres. Dans certains lieux, je suis heurtée par la position des œuvres, la violence qui s’exerce sur le regard. À Chaumont, nous cherchons l’évidence dans la poésie. S’il y a un point commun entre toutes ces œuvres, c’est cette poésie végétale qui se dégage de leur présence.
D.B. : Le domaine de Chaumont-sur-Loire est un établissement public qui a, semble-t-il, trouvé un juste équilibre puisqu’il s’autofinance à plus de 70 % et a doublé le nombre de ses visiteurs en quelques années… Dans quelles conditions s’est fait le changement de statut ?
C.C.-D. : La région Centre a choisi de créer cet EPCC [établissement public de coopération culturelle] au 1er janvier 2008. À l’image du château du Haut-Koenigsbourg, c’est un transfert réussi de l’État à la région. Devenir propriétaire du château et reprendre le festival des jardins géré par une association, tout en ayant la volonté de créer un projet d’art contemporain, était un acte audacieux. Ce projet avait été défini par François Barré et je suis arrivée pour le mettre en œuvre. La région a eu un geste fort et je me réjouis que le nombre de visiteurs soit passé de 200 000 à plus de 400 000 par an ; c’est une manière de saluer son engagement culturel dans un territoire où 50 % de nos visiteurs estivaux viennent de la région. La greffe aurait pu ne pas prendre. Après tout, beaucoup de gens n’ont pas accès à l’art contemporain, n’entrent pas dans les musées, ni les galeries, car ils considèrent que ce n’est pas leur monde. Il y a beaucoup de barrières en temps normal, mais ici, à Chaumont, nous avons la chance de pouvoir sensibiliser tous les publics à l’art contemporain et leur présenter des artistes comme Kounellis, Sarkis, Kawamata, Anne et Patrick Poirier, David Nash, Bob Verschueren, Erik Samakh, Andreas Gursky, Samuel Rousseau, Patrick Dougherty, François Méchain…
D.B. : Que vous inspire le projet de loi sur le patrimoine annoncé pour le printemps par la Rue de Valois proposant, notamment, de revenir sur le décret d’application de 2011 qui réduit les prérogatives des architectes des bâtiments de France (ABF) ?
C.C.-D. : Il est important que le regard scientifique des ABF demeure. Pour nous, ils sont de précieux conseillers pour aborder des monuments ayant traversé les siècles. Leur regard ne doit pas être tenu à l’écart de ceux qui gèrent les monuments. Je ne connais pas en détail cette loi, mais il me semble essentiel que ceux qui détiennent le savoir et la mémoire ne soient pas mis de côté. À Chaumont, les œuvres peuvent jouer avec le patrimoine, entrer en interaction avec lui, mais toujours dans le respect du monument et des lieux. Un village menacé par une signalétique vulgaire ou des constructions inadaptées peut être défiguré en très peu de temps. Ayant vécu vingt ans à l’étranger, je suis très sensible aux évolutions des paysages. Lorsque l’on vit sur place, on s’habitue. Mais quand on revient après des années et que l’on remarque brusquement les changements dans un paysage ou un village, on se rend compte qu’ils n’ont pas toujours été réalisés avec une attention suffisante portée à la cohérence et à la beauté. On fait beaucoup plus attention en Toscane ou dans un certain nombre de régions allemandes que chez nous. Je suis désespérée par les abords des villes. Il y a, parfois, des juxtapositions d’une violence révoltante. La mission des ABF est indispensable à la protection des monuments et paysages.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
L'actualité vue par Chantal Colleu-Dumond, directrice du domaine de Chaumont-sur-Loire et du Festival international des jardins
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°386 du 1 mars 2013, avec le titre suivant : L'actualité vue par Chantal Colleu-Dumond, Directrice du domaine de Chaumont-sur-Loire et du Festival international des jardins