Diplomatie

La Russie garde son butin de guerre

Poutine s’oppose au souhait d’Angela Merkel de voir revenir en Allemagne les pièces du trésor d’Eberwald spoliées par les Soviétiques.

SAINT-PÉTERSBOURG - La diplomatie culturelle est décidément au centre de l’agenda d’Angela Merkel. Après avoir visité; l’exposition controversée « De l’Allemagne. 1800-1939 » au Louvre en compagnie du président François Hollande, la chancelière allemande  a dû gérer cette fois-ci une polémique liée à une exposition au Musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg. « L’âge de bronze, l’Europe sans frontières » comporte en effet 1 700 artefacts, dont 600 proviennent du trésor d’Eberswalde, l’un des principaux trésors en Europe centrale de cette période préhistorique, spolié à l’Allemagne par des soldats soviétiques à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
En voyage en Russie à l’occasion de la tenue d’un forum économique, Angela Merkel devait participer au vernissage de l’exposition en compagnie du président russe Vladimir Poutine. Mais trois jours avant l’inauguration, la presse allemande a annoncé que Merkel se désistait, faute de pouvoir prendre la parole. Il s’agissait d’un malentendu, a rétorqué Poutine, arguant du manque de temps pour justifier cette annulation. Finalement, la visite a été rétablie, ce qui a permis à Angela Merkel de déclarer : « Nous sommes d’avis que ces objets d’exposition devraient revenir en Allemagne. » Elle a cependant ajouté que les montrer au public est déjà en soi un progrès, alors qu’ils se trouvaient dans les réserves des musées depuis la Seconde Guerre mondiale. Cette demande officielle a été soigneusement ignorée par la presse russe. Autre camouflet pour Angela Merkel, Vladimir Poutine a refusé catégoriquement de rendre ce trésor à l’Allemagne. « Qu’importe au citoyen lambda où se trouvent ces trésors », a-t-il ainsi déclaré.

1 million d’objets d’art
Le trésor d’Eberswalde n’est que la partie émergée du différend qui empoisonne les relations germano-russes depuis des décennies. Selon le gouvernement fédéral allemand, le butin de guerre russe s’élèverait à plus d’un million d’objets d’art et culturels, dont 200 000 sont d’importance muséale, ainsi qu’à plus de 4 millions de livres et l’équivalent de trois kilomètres de rayonnage d’archives.
En 1955, l’Union soviétique a rendu à la République démocratique allemande les œuvres d’art de la Gemäldegalerie de Dresde. Mais la majorité du butin de guerre ayant disparu dans les réserves des musées, ces pièces étaient considérées comme perdues. L’or de Troie a pourtant réapparu au début des années 1990, après la découverte d’archives du Musée Pouchkine de Moscou. Une exposition y a été organisée en 1996, montrant pour la première fois depuis la guerre ces artefacts au public.
Le butin de guerre a fait l’objet d’une loi en 1998, qui précise que ces biens appartiennent désormais à la Russie. Les soldats soviétiques ont payé de leur sang ces objets, selon la Russie. L’Allemagne conteste cette loi, qu’elle juge contraire au droit international. En 2002, Vladimir Poutine avait rendu des vitraux datant du Moyen Âge à l’église Sainte-Marie de Francfort-sur-l’Oder, en échange du financement par l’Allemagne de la restauration d’une des plus vieilles églises de Russie, l’église de l’Assomption sur le champ Volotovo (près de Novgrod), détruite pendant la Seconde Guerre mondiale.

Légende photo

La chancelière allemande Angela Merkel et le président russe Vladimir Poutine, lors d'un sommet du G8 à Heiligendamm - © Photo REGIERUNGonline/Kühler.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°395 du 5 juillet 2013, avec le titre suivant : La Russie garde son butin de guerre

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