ESSAI

La rencontre fertile d’une artiste et d’un philosophe

Par Anne-Cécile Sanchez · Le Journal des Arts

Le 13 novembre 2024 - 334 mots

Pour « Rendre l’eau à la terre », Suzanne Husky s’allie à Baptiste Morizot pour défendre la cause des castors et de l’eau.
Lorsqu’une artiste sensibilisée à la cause du « peuple castor » rencontre un philosophe passionné par le vivant, cela donne un bel ouvrage intelligent : Rendre l’eau à la terre. Suzanne Husky a contacté Baptiste Morizot après avoir lu son livre phare (Manières d’être vivant, 2020, Actes Sud), un texte inspiré de la fréquentation des loups. De leurs échanges électroniques naît d’abord une illustration de couverture pour un nouvel opus de l’auteur (L’Inexploré, 2023, Wilproject), avant qu’ils ne se croisent à la 16e Biennale de Lyon, en 2022. Suzanne Husky n’est pas encore lauréate du prix Drawing Now, mais son œuvre est déjà peuplée de castors dont elle a découvert, en s’intéressant à l’hydroécologie, la capacité d’action favorable à la vie des rivières, envisagée dans la perspective du temps long. Elle n’a pas de mal à convaincre Morizot – dont tout le travail invite à imaginer des alliances entre les humains et le monde animal – de l’importance du sujet. Leur ouvrage commun, nourri de l’expérience du terrain et de conversations avec de nombreux scientifiques, part d’un constat que formule le philosophe : « corsetées et bétonnées » par les politiques d’aménagement du territoire, les rivières, dont les cours ont été artificiellement accélérés, ne viennent plus hydrater les sols qui les bordent, amplifiant le phénomène des sécheresses climatiques. Or il existe un « effet castor » régénératif, étudié aux États-Unis : les barrages patiemment édifiés par les rongeurs, éradiqués de notre paysage, permettent en effet de ralentir l’eau et de guérir les milieux assoiffés. Toute la démonstration vise alors à mesurer la portée de cet effet face aux « quatre cavaliers de l’apocalypse climatique qui vont frapper l’Europe – sécheresses, inondations, mégafeux et érosion de la biodiversité ». L’écriture précise et éloquente, rythmée par une série de paragraphes courts, est irriguée ici et là par les dessins à l’aquarelle tantôt pédagogiques, tantôt poétiques, offrant une illustration réussie d’une philosophie de l’action.
Les réserves des musées : écologies des collections, Tiziana Beltrame et Yaël Kreplak (sous la direction de),
Dijon, Presses du réel, 2024, 364 p., 28 €.
Rendre l’eau à la terre. Alliances dans les rivières face au chaos climatique, Baptiste Morizot, Suzanne Husky,
éd. Actes Sud, collection « Mondes sauvages », 352 p. 28 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°643 du 15 novembre 2024, avec le titre suivant : La rencontre fertile d’une artiste et d’un philosophe

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