Fondée en 1929, l’Union des artistes modernes (UAM) s’inscrit en rupture avec le style Art déco et ses techniques. À l’artisanat et à l’ornementation, elle n’aura de cesse d’opposer un nouveau vocabulaire plastique, basé sur l’application des techniques industrielles et l’utilisation de leurs matériaux.
En 1925, les artistes décorateurs dominent le Salon des arts décoratifs. L’Art déco atteint son apogée mais, dans le même temps, sa contestation et son dépassement sont déjà en germe. Ce phénomène est visible dans l’évolution du style des grands noms – Rhulmann en tête –, mais aussi dans l’affrontement entre traditionalistes et modernes qui prend parfois des tournures surprenantes : Paul Léon, directeur des Beaux-Arts, demande le décrochage des toiles de Delaunay et Léger du hall de “Une ambassade française”, conçu par Robert Mallet-Stevens.
L’Union des artistes modernes (UAM) est créée à la suite d’une mésaventure semblable. En 1929, Mallet-Stevens et Pierre Chareau se voient refuser par la Société des artistes décorateurs (Sad) leur proposition d’une présentation groupée au Salon. Partisans d’une ligne pure, en contact direct avec le Cubisme, ceux-ci avaient fédéré autour d’eux la jeune génération, en rupture avec le style Art déco et proche de l’”Esprit nouveau” de Le Corbusier. Face à l’hostilité de la Sad, Chareau, Mallet-Stevens, Charlotte Perriand, René Herbst et Djo Bourgeois (qui ne quittera toutefois jamais la Sad), entre autres, font scission et créent l’UAM. Leur première exposition collective s’ouvre le 11 juin 1930 au Pavillon de Marsan. Annuelles, ces expositions se poursuivront jusqu’en 1937, avant de recommencer après la guerre sous le nom de “Formes utiles”. Un demi-siècle plus tard, Charlotte Perriand, membre de l’Union jusqu’à sa dissolution en 1958, commente ainsi l’événement : “Imaginez l’époque ; d’un côté le style “Art décoratif” perpétuant la tradition des ébénistes et des tapissiers et, de l’autre, la rupture totale... le mot “équipement” à la place de “décoration”.
Les causes de cette “rupture totale” sont autant d’ordre esthétique qu’idéologique. Les arts décoratifs en France étaient dans une situation d’isolement, coupés du contexte économique, politique, social et artistique de la décennie qui s’annonçait ; les avant-gardes comme l’Abstraction géométrique étaient totalement ignorées. Dans son Manifeste de 1934, l’UAM prend note de cette situation et invite au changement, notant que “l’art moderne est un art véritablement social. Un art pur, accessible à tous et non une imitation faite pour la vanité de quelques-uns”, emboîtant le pas à Le Corbusier – membre de l’UAM depuis 1931 – qui, en 1925, rejetait la notion d’art décoratif au profit de celle d’”outillage”. Sur la scène internationale, l’UAM n’est pas seule. Le Bauhaus, dont la diffusion est assurée en France par son exposition en 1930 au Grand Palais, poursuit les mêmes buts. Les deux groupes, fidèles à la citation de Tolstoï selon laquelle “tout art d’élite est un art mort”, ont en commun la volonté d’un art engagé socialement, accessible à tous.
“Un quatuor harmonieux”
Cette diffusion plus large ne pouvant être résolue en utilisant des moyens artisanaux, les artistes de l’UAM ont à cœur d’utiliser des matériaux industriels neufs, et d’en tirer une esthétique propre : “À côté de l’ancien duo bois et pierre, que nous n’avons jamais négligé, nous avons essayé de constituer le quatuor ciment, verre, métal, électricité, quatuor harmonieux dont nous avons voulu déterminer les principes et établir les accords” (Manifeste de l’UAM, 1934). Les nouvelles techniques comme l’acier à structure tubulaire, fréquemment utilisées, permettent la recherche de “formes pures”, véritable Graal des ces artistes. Ils s’opposent au recours trop fréquent à l’ornementation, car “en réalité, et si paradoxal que cela puisse paraître, une forme décorée coûte moins cher à établir qu’une forme pure, où aucun détail ne vient cacher les ratés et dissimuler la malfaçon et qui, par conséquent doit être parfaite.”
Des tentatives pour jeter des ponts avec l’industrie sont régulières, comme la présentation de projets communs avec l’Office technique pour l’utilisation de l’acier (Otua). Lors du Salon d’automne 1934, André-L. Louis, Mallet-Stevens, Herbst, Pierre Barben, Georges-Henri Pingusson, Frantz-Philippe Jourdain présentent une “exposition de cabines de paquebot en acier”. Ils emploient les techniques industrielles les plus récentes, comme le cintrage, l’emboutissage ou la soudure. Une autre opération de ce type aura lieu en 1936 et 1937, et portera sur la réalisation de meubles scolaires en acier, symboliques de l’intérêt des années d’avant-guerre pour la pédagogie. Quant à Pierre Chareau, il sera chargé de toutes les expositions de la sidérurgie française jusqu’en 1961.
Malheureusement, l’accès des classes populaires aux travaux de l’UAM restera un vœu pieux – du moins pour la période d’avant-guerre, ses membres ayant par la suite joué un grand rôle dans la Reconstruction. Charlotte Perriand, aux côtés de Le Corbusier et Pierre Jeanneret, est une des rares à voir ses meubles produits en série par Thonet. Et de nombreuses réalisations de membres de l’Union, si elles utilisent des techniques et matériaux industriels, n’en sont pas moins destinées à une production à petite échelle. C’est le cas des lampes de Jacques Le Chevallier, véritables sculptures, et évidemment des bijoux de Raymond Templier dont les formes simples n’ont d’égale que leur valeur.
Partie d’une interrogation sur les besoins d’une époque auxquels l’Art déco n’avait pu répondre, l’UAM a émancipé les arts décoratifs de leur simple fonction ornementale en s’affranchissant des techniques artisanales.
- CHARLOTTE PERRIAND, FERNAND LÉGER : UNE CONNIVENCE, 29 mai-27 septembre, Musée national Fernand Léger, Chemin du Val de Pome, Biot (Alpes-Maritimes), tlj sauf mardi 10h-12h30 et 14h-18h ; à partir du 1er juillet 11h-18h. Le Musée Fernand Léger propose cet été une exposition sur la collaboration et l’amitié entre le peintre et Charlotte Perriand, qui a participé elle-même à la conception de ce dialogue. - L’UNION DES ARTISTES MODERNES 1929-1939, 5 juin-5 septembre, Villa Noailles, parc Saint Bernard, Hyères (Var), tlj sauf mardi 10h-12h et 16h-19h. Dans le cadre de sa programmation “hors les murs�?, le Centre Georges Pompidou organise une exposition sur la première décennie de l’UAM. Un ensemble de dessins d’architectes, de maquettes, de pièces de mobilier, et d’œuvres d’art est présenté dans la Villa Noailles, à Hyères. Réalisée en 1922 pour le vicomte de Noailles, elle est une des rares réalisations de Robert Mallet-Stevens que l’on peut visiter aujourd’hui. - MOBILIER D’ARCHITECTES ET DE DÉCORATEURS DE L’APRÈS-GUERRE, Galerie Jousse-Seguin, 6 rue des Taillandiers, 75011 Paris. Un espace de 300 m2 consacré au mobilier des années cinquante : des pièces de membres de l’UAM (Perriand, Prouvé...) y sont présentées.
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La modernité contre l’ornement
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°83 du 14 mai 1999, avec le titre suivant : La modernité contre l’ornement