Les lampes interpellent de plus en plus les commissaires d’exposition. Mais que montrer, de l’objet design ou de la lumière qu’il produit ?
S'il est, au rayon design, un objet qui sort du lot, c’est bien la lampe. Elle possède en effet une qualité que n’auront, par exemple, ni une chaise, ni une table : elle apporte la lumière. Loin donc de faire partie de ces « objets inanimés » stigmatisés par Lamartine, les luminaires mènent de front une double vie : l’une le jour, l’autre la nuit. D’où une question que se pose inévitablement tout commissaire d’exposition en charge de les exhiber : que faut-il montrer, l’esthétique de l’objet lui-même ou bien la lumière qu’il produit ?
En ce premier semestre de l’année 2004, deux expositions, aux registres différents et pourtant complémentaires, ont pris pour thème la lumière électrique. « Brilliant », première manifestation sur le luminaire contemporain organisée par le Victoria and Albert Museum (V&A), à Londres, et qui vient juste de s’achever (1), s’est focalisée sur quelques expérimentations actuelles autour de la lumière. « Iluminar, Design da Luz 1920-2004 », qui a lieu jusqu’au 2 mai (2) au Museu de Arte Brasileira, à São Paulo, au Brésil, montre quant à elle un panorama de la création luminaire depuis les années 1920.
La première, « Brilliant », la plus petite des deux, était installée dans le nouvel Espace contemporain du V&A, dédié à la création actuelle, un espace pas très heureux, architecturalement parlant, en particulier dans sa partie initiale en forme de couloir étriqué. Elle se divisait en deux parties. D’un côté, un bric-à-brac façon « bazar de l’électricité » rassemblait une centaine de créations de ces dernières années. De l’autre, neuf installations, signées des designers Tord Boontje, Ingo Maurer, Ron Arad, Kazuhiro Yamanaka, Paul Cocksedge, Francesco Draisci, Georg Baldele, Arik Levy et Sharon Marston, exploraient « le potentiel lyrique de la lumière ». On a pu voir, notamment, un résultat du travail sur les diodes électroluminescentes que mène, depuis plusieurs années, Ingo Maurer. Sa suspension Luester (2003) est un double panneau de verre transparent serti de diodes, d’où l’on ne distingue aucun fil reliant les points lumineux. Le contact électrique s’effectue, en fait, grâce à un film conducteur totalement transparent, pris en sandwich entre les deux plaques de verre.
Seul regret : certaines installations, logées dans un espace clos, n’étaient visibles qu’au travers d’étroites meurtrières, donc difficilement appréciables. Dans une pièce plus accessible, le visiteur aura néanmoins pu contempler une belle lampe, absente de la rétrospective brésilienne : la Sphère IPCO (2001) du designer Ron Arad. Cette boule en polyester et en fibre de verre, dont l’intérieur est recouvert d’une surface réfléchissante et l’extérieur percé de trous minuscules, fonctionne à l’inverse d’une chambre noire. Lorsque l’ampoule électrique placée au centre de la sphère est allumée, elle projette, à travers les trous, sur les murs alentour, une multitude d’images lumineuses, qui se révèlent être des reflets de son propre filament.
La lumière avant les objets
Outre-Atlantique, la grande exposition « Iluminar » du Museu de Arte Brasileira rassemble, elle, sur 1 200 m2, quelque 250 lampes des années 1920 à aujourd’hui, comptant non seulement des pièces importantes du XXe siècle mais aussi des objets du quotidien, actuellement disponibles dans le commerce. Contrairement à la présentation londonienne, c’est moins la technologie qui sert de fil conducteur à la mise en scène que la lumière en tant que telle. « Aujourd’hui, il suffit d’appuyer sur un interrupteur pour que la lumière soit, observe Sarah Chiarella Vignon, co-commissaire de l’exposition. Or toute la magie qui accompagnait jadis ce geste a, de nos jours, disparu. À travers cette scénographie, nous voulons que le visiteur puisse retrouver cette magie de la lumière. » « Notre objectif est davantage de montrer la lumière produite par une lampe que d’entrer dans des considérations techniques », ajoute Stéphane Corréard, également commissaire.
La scénographie, imaginée par les frères Fernando et Humberto Campana, designers paulistes en vogue, se développe en quatre espaces majeurs, chacun usant d’un code de couleurs précis. Le premier, baptisé « Voie lactée », présente une multitude de luminaires immergés dans un décor bleu nuit. Le deuxième, « Fragmentation et Articulation », tout orange, montre d’une part des suspensions à la silhouette fragmentée, de l’autre une série de lampes d’architecte. « Fantômes et ectoplasmes », le troisième, entièrement blanc, ressemble à un « œuf » et raconte une histoire de l’abat-jour. Le dernier enfin, tout vert, s’intitule le « Paradis des ampoules » et offre, comme son nom l’indique, une variété de créations qui célèbrent l’ampoule.
La plupart des câbles d’alimentation ont été dissimulés et, pour éviter que les pièces, notamment les plus anciennes, ne chauffent trop, un double circuit électrique fait alterner l’éclairage des lampes par elles-mêmes et un rétro-éclairage. Bref, « au travers de ce parcours, c’est bel et bien la lumière qui est mise en avant, non les objets, souligne Stéphane Corréard. Nous voulions privilégier un rapport physique entre les pièces et le visiteur, afin que ce dernier ressente au maximum l’impact émotionnel de chaque lampe. »
Pour l’heure, aucune institution française ne s’est proposée d’accueillir cette exposition, faute de place… ou, peut-être, de volonté.
(1) L’exposition « Brilliant » a eu lieu, du 12 février au 25 avril, au Victoria and Albert Museum, à Londres.
(2) Ouverte depuis le 18 février, au Museu de Arte Brasileira, l’exposition « Iluminar », qui rassemble des pièces issues de collections privées et publiques – en France : Musée des arts décoratifs de Paris, Centre Pompidou et Fonds national d’art contemporain ; en Suisse : Vitra Design Museum –, s’achève le 2 mai. Rua Alagoas, 903, São Paulo. Informations : www.faap.br
Nota bene : Clin d’œil à la vaste présentation pauliste, une micro-exposition intitulée « Objets de lumière vive » présente, jusqu’au 5 juin, une quinzaine de lampes de designers internationaux. Vitrines de la galerie Haute Définition, 4, passage du Grand-Cerf, 75002 Paris, tél. 01 40 41 16 00.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
La lumière mise en lumière
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°192 du 30 avril 2004, avec le titre suivant : La lumière mise en lumière