Portrait

Julio Le Parc, vision en mouvement

Par Manou Farine · L'ŒIL

Le 15 novembre 2011 - 580 mots

Rendre visite à Julio Le Parc dans son atelier de Cachan relève du cérémonial. C’est le fils qui accueille, gardien d’un temple en ordre de bataille pour reprendre le cours d’une histoire jugée turbulente et un poil ingrate.

« Les années 1980 et 1990 ont été un peu dures, reconnaît-il. En France surtout, alors qu’en Argentine, l’histoire a pris acte. C’est ici que les institutions ont manqué le coche et ont laissé faire l’offensive américaine. » Et d’ajouter dans un sourire : « Mon père a beau avoir remporté le Lion d’or à Venise en 1966, il subsiste toujours une tendance à croire que les artistes sud-américains doivent forcément être moins chers que les autres. »

La belle exposition « Erre » au Centre Pompidou-Metz, qui réserve à Le Parc une brillante séquence, devrait réparer ça. L’heure est à la réhabilitation, et l’atelier en frémit d’avance : c’est une rétrospective hallucinée qui est ici entreposée. Des toutes premières sculptures cinétiques de la fin des années 1950 aux boîtes à faisceaux électriques des années 1980, tout est là ou presque. Multiples édités par Denise René du temps du cinétique triomphant, mobiles transparents ou installations participatives, ça vibre, ça hypnotise, ça tressaute, ça tortille à coups de miroirs, ressorts, lamelles, sphères sautillantes et interrupteurs à actionner. Le temps semble s’être arrêté là, entre sidération muséale et décor de science-fiction des années 1960.

Fontana et Vasarely
À Cachan, à l’étage, changement de registre, c’est Julio le père qui reprend la main auprès d’un visiteur désormais en béate condition. Quatre-vingt-trois ans, blouse bleu de travail, l’œil qui frise et toujours l’activisme latino-américain à portée de tir. À commencer par le creuset argentin qui forme le garçon dans les années 1940, entre usine et cours du soir aux Beaux-Arts de Buenos Aires. La légende s’écrit avec Lucio Fontana, le professeur, époque Manifeste blanc. Au menu, le développement d’un « art fondé sur l’unité du temps et de l’espace ». Le Parc n’a pas 18 ans, mais enregistre. Ça et l’exposition Vasarely à Buenos Aires. « Des surfaces dynamiques. Un choc. Tout à coup, il ouvrait de nouvelles perspectives. »

Direction Paris. « Mais je n’ai rien trouvé en arrivant, rigole Le Parc. Abstraction lyrique, tachisme. Rien. » En 1960, avec une poignée de compatriotes et les deux autres espiègles têtes chercheuses que sont Morellet et Yvaral, Le Parc allume un contre-feu et fonde le groupe Grav (Groupe de recherche d’art visuel). Sur fond de fronde contre l’institution, l’équipée joue avec une légèreté aussi friponne que rigoureuse la carte de l’instabilité perceptive. Le Parc a fait de la lumière et du mouvement ses matériaux et étend son champ d’action à l’environnement. Rideau sur le subjectif. Place à l’œil moteur du spectateur. Les œuvres se manœuvrent, se reproduisent, immédiates, antiauratiques, du moins dans un premier temps.

Venise, Düsseldorf, de pionnier, Le Parc se fait tête de gondole et se paie même le luxe – politique – de jouer à pile ou face une rétrospective au Musée d’art moderne de la Ville de Paris en 1972. Perdu. « Suicide artistique », commente Matthieu Poirier, commissaire de l’exposition que la galerie Bugada & Cargnel lui consacrait cet automne à Paris. Poirier qui en dénombre d’autres, comme la suspension de ses installations cinétiques pour une séquence peinture mal accueillie. Mais aujourd’hui que l’histoire repasse le plat cinétique, nul doute que l’atelier Le Parc se fasse à nouveau magnétique.

« Erre, variations labyrinthiques »

Jusqu’au 5 mars 2012 au Centre Pompidou-Metz. www.centrepompidou-metz.fr

Biographie

1928
Naissance à Mendoza en Argentine.

1960
Fondation du Grav (Groupe de recherche d’art visuel) à Paris.

1970
Voyages à Cuba.

1984 
Premier retour à Buenos Aires pour une exposition personnelle.

2011
Exposition à la galerie Bugada & Cargnel, Paris.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°641 du 1 décembre 2011, avec le titre suivant : Julio Le Parc, vision en mouvement

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