LONDRES / ROYAUME-UNI
À l’occasion du bicentenaire de la National Gallery, l’ancien directeur de musées estime qu’il serait temps que des œuvres contemporaines soient accrochées avec celles des maîtres anciens.
Londres (Royaume-Uni). Dans une lettre adressée à la National Gallery et au roi Charles III, Julian Spalding, critique et ancien directeur des musées d’art de Sheffield, Manchester et Glasgow, suggère de mettre fin à la division entre l’institution de Trafalgar Square et la Tate, fondée sur l’année 1900. La décision avait été prise en 1996 par Nicholas Serota, directeur à l’époque de la Tate, et Neil MacGregor, ancien directeur de la National Gallery. L’objectif était de fixer une fois pour toutes la ligne de démarcation entre ces institutions avant l’ouverture de la Tate Modern en 2000. Le choix de la date, arbitraire, représentait une limite facile à se rappeler pour le public… Alors que rien ne justifie cette démarcation du point de vue de l’histoire de l’art, elle est remise en cause depuis quelques années.
Quand la National Gallery a été créée il y a 200 ans, elle s’est mise à collectionner des chefs-d’œuvre au fur et à mesure que leur importance était découverte. C’était un processus continu. En 1996, la décision d’arrêter la collection à 1900 a été prise sans qu’il y ait eu de débat. Or cela semble signifier que la grande peinture est morte à ce moment-là, qu’il n’y a plus eu de chefs-d’œuvre peints par la suite. Cette idée n’a pas de sens, c’est un désastre ! Cela revient à congeler l’art alors que ce n’est pas du tout ce qu’il s’est passé. La peinture est l’une des plus anciennes formes d’art, et elle est toujours vivante aujourd’hui.
Ce doit être l’occasion d’une mise à jour progressive de la National Gallery. Cela permettrait à la collection d’inclure, de façon naturelle, des femmes et des artistes d’autres cultures. L’institution finira ainsi par refléter le monde d’aujourd’hui et non un fossile de l’art des hommes blancs européens.
Mais non ! Ce serait en fait très facile, car il y a une longue histoire entre la Tate et la National Gallery. Quand la Tate Britain a été créée, à la fin du XIXe siècle, il y a eu un accord permettant de transférer ses chefs-d’œuvre vers la National Gallery. Dans les années 1960, par exemple, un Manet, un Cézanne et un Van Gogh ont été transférés à Trafalgar Square. Ces œuvres appartiennent au public, au gouvernement. Elles peuvent être vues dans n’importe quelle institution et les déménager en camion ne coûte rien.
La National Gallery a aussi un budget d’acquisition et de nombreuses personnes lui donnent des œuvres. Madonna avait prêté un Frida Khalo à la Tate, mais elle aurait pu le prêter à la National Gallery. Et pour des raisons d’optimisation fiscale, elle pourrait très bien la donner à l’institution ! C’est une option tout à fait possible pour de nombreux riches collectionneurs.
La Tate resterait un lieu d’expérimentation, plus actualisé. Son travail serait de réaliser le rêve d’Albert Barr, le tout premier directeur du Musée d’art moderne (MoMA) à New York, qui voulait en faire un musée « torpille » qui avance dans le temps. La National Gallery devrait donc récupérer seulement les œuvres les plus illustres, celles dont la valeur est censée « durer ». C’est un concept très important, alors que nous vivons dans un monde mouvant, incontrôlable, cela nous fait ralentir.
Mais il s’agirait d’abord de transférer quelques-unes de ces œuvres uniquement. Ces grandes peintures pourraient ainsi être exposées de façon permanente, ce qui est le cas de presque toutes les œuvres de la National Gallery, contrairement à ce qui se pratique à la Tate, du fait de son immense collection.
C’est la question. Je propose une douzaine de peintures, dont Mes Parents de David Hockney (1977), qui comprend le reflet dans un miroir d’une peinture de la National Gallery, Le Baptême du Christ de Piero della Francesca. Il est plus facile de savoir si la renommée peut durer après 50 ans. La National Gallery avait acheté La Chaise de Vincent Van Gogh (1889) seulement 34 ans après qu’elle a été peinte. Si peu de temps après, les conservateurs ont réussi à se rendre compte que c’était une grande peinture. Ils avaient raison, c’est toujours le cas aujourd’hui. Donc, c’est possible !
Mais je ne pense pas que les conservateurs et les critiques doivent être les seuls à décider. Ce que je suggère, c’est que le public soit impliqué dans cette décision.
Le débat doit rester ouvert. Je ne dis pas que le public doit prendre la décision finale, mais il doit participer à la question de savoir ce qui fait une « grande peinture ». Cela permet à l’art de rester vivant. Il n’y a pas de règle en la matière. Vous ne pouvez pas anticiper l’art. Personne n’aurait pu anticiper les Beatles, par exemple. C’est un processus de reconnaissance après coup.
Les conservateurs des deux institutions pourraient répondre aux demandes de la population en la matière. Ils pourraient aussi exposer quelques peintures de la Tate à la National Gallery et le public pourrait voter pour celles qui devraient rester de façon permanente à Trafalgar Square.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Julian Spalding : « Limiter la collection de la National Gallery à 1900 est un désastre ! »
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°628 du 1 mars 2024, avec le titre suivant : Julian Spalding : « Limiter la collection de la National Gallery à 1900 est un désastre ! »