Né en 1952, Jean-Marc Bustamante a commencé sa carrière d’artiste comme photographe. Il collabore de 1983 à 1987 avec Bernard Bazile, sous le nom de « BazileBustamante », avant de reprendre son autonomie. Il se tourne alors vers la sculpture et développe un travail sur l’image à travers appropriations et transformations. Il a participé à de nombreuses expositions en France et à l’étranger, dont trois Documenta de Cassel (1987, 1992, 1997). Il était l’artiste invité du pavillon français de la Biennale de Venise en 2003. Cette année, il est le directeur artistique du « Printemps de septembre à Toulouse », qui débute le 24 septembre. Jean-Marc Bustamante commente l’actualité.
Vous êtes le directeur artistique, avec Pascal Pique comme commissaire des expositions, du Printemps de septembre à Toulouse. Comment avez-vous abordé cette mission de commissariat d’expositions ?
Cette proposition m’a conduit à réfléchir au sens d’une telle demande pour un artiste. Prendre le temps, constituer une équipe et se donner la liberté de réaliser quelque chose à la fois de nouveau et de très personnel. Pour moi, Toulousain de naissance, la question était de savoir si on pouvait faire de cet événement qui vient de Cahors, pas assez implanté à Toulouse, un festival à la dimension de la ville, si on pouvait lui donner une identité plus forte, plus originale. J’ai la chance comme artiste de travailler internationalement, et d’avoir de nombreux contacts avec les artistes et les milieux institutionnels. La tentation était aussi de créer un modèle spécifique qui n’existe pas ailleurs en essayant de garder l’âme de Cahors. Un festival ancré dans sa ville où se mêlent les expositions, les performances, les projections nocturnes, les concerts, un festival gratuit qui s’ouvre sur la ville entière. Le défi est de rendre dans trois ans ce festival à Marie-Thérèse Perrin (1) avec une identité et une notoriété internationale.
Le Printemps de septembre n’est plus aujourd’hui un festival centré sur la photographie et la vidéo...
Non. Ce festival s’est construit sur des particularités qui sont aujourd’hui devenues des généralités. Autant la photographie – et je viens de ce milieu – était une particularité sur la scène artistique il y a vingt ans, autant aujourd’hui la photographie comme modèle est une question centrale. Ce festival n’est pas un festival de photo, c’est un festival d’art qui met en avant un certain nombre de questions sur l’art d’aujourd’hui. C’est un festival de création contemporaine. Par exemple, le Centre national de la photographie, déplacé au Jeu de paume, joue l’ambiguïté d’un médium devenu très populaire et qui doit trouver sa place ou non dans le champ de l’art. Mon idée est avant tout de faire un festival de création contemporaine à la hauteur de la ville de Toulouse. Ce n’est pas une « Documenta » ni une biennale d’art mais une petite manifestation qui se veut très performante en tenant compte de la grande transversalité des médiums. Dès cette année, nous réduisons le nombre des artistes, et je suis partisan de le réduire davantage pour essayer de présenter des œuvres d’envergure et innovantes. Il faut inciter les gens à venir à Toulouse pour vivre une expérience différente. Le moment est opportun.
Parmi les artistes que vous avez invités, avez-vous le sentiment d’avoir privilégié ceux qui abordent des problématiques qui sont également présentes dans votre travail ?
Je ne suis pas très dogmatique, ni comme professeur à l’école des beaux-arts ni comme artiste, et je ne privilégie pas de théorie préalable au travail. Je suis surtout curieux de la création au sens large, intéressé par des champs d’investigation souvent très éloignés de mes propres recherches. Ainsi, si l’on regarde le programme que nous avons élaboré avec Pascal Pique, nous partons d’artistes très conceptuels voire « minimal » : Giovanni Anselmo, Rémy Zaugg, Josiah McElheny, Didier Vermeiren, pour aller vers des artistes résolument « baroques » comme Elmar Trenkwalder, Barry X Ball, Jan Fabre, Pascal Convert ou Børre Sæthre, en passant par d’autres plus existentiels comme Martin Kippenberger, Christian Marclay, les sœurs Wilson, Uri Tzaig, ou Christoph Draeger. L’idée est de présenter une exposition sur les limites de l’image en choisissant des artistes singuliers, les faire coexister dans une immense mise en scène à forte portée poétique. D’où le titre « In Extremis », c’est-à-dire, où est l’image chez Rémy Zaugg, quel sens a-t-elle chez Roni Horn ou Serge Comte ? Il était important pour un certain nombre de lieux historiques d’inviter les artistes à produire des œuvres en adéquation avec ces espaces. Grâce à ma complicité avec Pascal Pique et à son ouverture d’esprit, nous proposons dans ce premier volet une grande diversité d’approches, en toute liberté avec la plus grande des curiosités, sans états d’âme. D’où un cocktail un peu explosif avec des créateurs dont on parle peu ou plus, mêlés à ceux qui font aussi l’air du temps, toutes générations confondues. C’est aussi la liberté de l’artiste qui tente de le rester dans sa nouvelle peau de commissaire.
De nombreux artistes revendiquent justement aujourd’hui la possibilité de gérer des lieux d’exposition. En tant qu’artiste, que pensez-vous apporter de plus par rapport à un commissaire d’exposition traditionnel ?
Tout dépend du moment où on le fait dans sa carrière. J’ai la chance d’habiter un grand appartement et, quand j’ai commencé, j’y ai organisé des expositions. L’artiste qui débat avec ses amis est déjà commissaire. Si votre notoriété d’artiste ou votre démarche d’artiste intéresse les chasseurs de tête afin de redistribuer les cartes autrement, pourquoi pas. L’art ne peut qu’y gagner. Être artiste, c’est avant tout avoir une liberté de parole. Je l’ai dans mon travail et cela m’intéresse de réfléchir avec d’autres sur la création contemporaine. J’aime beaucoup travailler en groupe, continuer à produire une pensée avec d’autres. Ce qui est arrivé à ce festival, à Cahors puis à Toulouse, je l’ai vécu dans mon propre travail : partir de la confrontation du réel, la photographie, pour ensuite questionner l’image autrement. Je suis parti d’un médium et j’ai ensuite réfléchi l’art, ce qui m’a progressivement conduit à utiliser d’autres moyens pour enrichir, diversifier et confronter les expériences visuelles afin de créer mon propre monde. L’évolution de ce festival me ressemble étrangement.
Vous avez été l’artiste invité du pavillon français de la Biennale de Venise 2003. Un an après, quel bilan en tirez-vous ?
Sur le plan personnel, Venise m’a permis de cristalliser à un moment donné quelque chose d’important dans mon travail, de faire cet effort d’amener mes recherches à un certain paroxysme, une clarté. C’est une manifestation très grand public et vous êtes soudainement surexposé dans le pavillon national. C’est une très belle expérience. En fait, cette exposition exacerbe, les gens qui apprécient sont encore plus fidèles et vous apportent des choses encore meilleures, les gens moins sensibles le restent en manifestant le plus souvent davantage d’agressivité, ce qui est dans mon cas très stimulant. L’effet Venise est très important aussi sur le plan des moyens. J’ai la chance de faire un travail qui se vend bien, je n’ai jamais gagné autant d’argent ni payé autant d’impôts, ce qui me permet de préparer des projets plus ambitieux. À Venise, Eckard Schneider m’a invité à préparer une grande exposition sur les trois étages de la Kunsthaus de Bregenz, en Autriche, en 2006. Je prépare avec Fabrice Hergott une exposition très particulière au Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg ; ma nouvelle collaboration avec la galerie Thaddaeus Ropac se révèle aussi très enrichissante.
Henri Cartier-Bresson s’est éteint cet été. Que représentait-il pour le photographe que vous êtes ?
Il est mort au bon moment, si je puis dire. C’est comme si tout un pan de la photographie se refermait. Il était un artiste classique extraordinaire, mais toute cette photographie exceptionnelle est vraiment d’une autre époque, du siècle dernier, avec ce noir et blanc, cette approche du monde, des événements. Pour moi, c’est la mort d’un Picasso. Il y a une folie de la forme dans ses images quand on les regarde, un équilibre vertigineux qui laisse sans voix. En même temps, l’avènement du numérique, Internet, le flux des images font que notre regard a changé. Moins de morale, plus d’interrogations. J’ai toujours préféré les images sans qualités.
(1) Présidente de l’association du Printemps de septembre et directrice du festival.
Printemps de septembre à Toulouse, du 24 septembre au 17 octobre, divers lieux, Toulouse ; Point Info : 3, place du Capitole, pour tous rens. www.printempsdeseptembre.com
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Jean-Marc Bustamante
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°198 du 10 septembre 2004, avec le titre suivant : Jean-Marc Bustamante