Artiste, Jean-Luc Vilmouth est enseignant depuis 1996 à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris (Énsb-a), où il est responsable du département sculpture/mise en espace. Initiateur dans ce cadre de l’Atelier interzone de recherche (Air), il poursuit de nombreux projets dont la conception du « Café reflets », qui ouvrira ses portes en février 2003, et prépare une exposition monographique pour le début de l’année 2003 à la Sécession de Vienne.
Le prix Marcel-Duchamp a été remis, pour sa deuxième édition, à Dominique Gonzalez-Foerster. Vous enseignez depuis de nombreuses années et avez assisté à la montée d’une génération d’artistes français qui connaît une carrière internationale. Comment jugez-vous la situation de la scène française aujourd’hui ?
Les choses sont en train de changer. À l’époque où j’ai démarré, dans les années 1980, ce n’était pas évident d’être un artiste français. Je vivais alors à Londres, j’avais donc un statut particulier. Par exemple, lors d’une exposition à la Lisson Gallery, un collectionneur qui s’intéressait à mon travail a appris un jour que j’étais français ; cela l’a rendu tout à coup perplexe. Soyons pragmatiques : peu d’artistes français exposent régulièrement en Angleterre aujourd’hui. En regardant les collections permanentes de la Tate, même la présence de Buren et de Boltanski reste exceptionnelle. Aux États-Unis, les choses semblent s’ouvrir plus pour les artistes français, qui suscitent un nouvel intérêt, mais souvent à la condition d’appartenir à un réseau. Grâce à l’émergence de nouveaux lieux comme le Palais de Tokyo, Le Plateau, et bien d’autres encore qui exposent la jeune création, une attention nouvelle se porte sur la France. C’est le cas pour Dominique Gonzalez-Foerster, que je connais très bien. Elle était étudiante avec Parreno, parmi d’autres, à l’école d’art de Grenoble, au moment où j’y enseignais. Cette nouvelle génération connaît maintenant un réel intérêt à l’étranger, pour plusieurs raisons : ils font un travail intéressant et savent questionner leur époque, ils ont bénéficié d’un contexte favorable (école d’art de Grenoble comme point de départ dynamique), et ils ont su se constituer des réseaux qui dépassent le cadre national. À partir du moment où le prix Marcel-Duchamp permet de contribuer au développement de l’art contemporain, en prenant des risques dans le choix des artistes, en affirmant des points de vue audacieux et nouveaux, alors je pense que la situation artistique contemporaine française est sur la bonne voie. Ainsi le choix d’Hirschhorn ou de Gonzalez-Foerster pour les deux premiers prix me rend optimiste pour le futur. Même si ce prix n’a pas encore la popularité du Turner Price de Londres, où il est un vrai phénomène national, il a le temps de s’affirmer.
Le ministère de la Culture vient d’annoncer la transformation du Jeu de paume en une Galerie nationale pour l’image consacrée à la photographie ancienne et contemporaine ainsi qu’à la vidéo. Ce lieu regroupera les missions du Centre national de la photographie et celles d’autres lieux dédiés à la photographie. Quel est votre sentiment là-dessus ?
Je ne vais plus au Jeu de paume depuis plusieurs années. La programmation est loin d’y être intéressante. Quand je parle du Jeu de paume à ma nouvelle génération d’étudiants, ils ne savent même pas ce que c’est. Je dis cela seulement pour signifier à quel point cet endroit est discret. L’idée de donner une orientation différente à ce lieu et d’y fédérer la photographie et la vidéo est une décision très positive qui, je crois, lui donnera une présence dynamique sur la scène contemporaine française.
Vous enseignez actuellement à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris. À la rentrée, des écoles d’art, notamment celle de Nîmes, ont été en proie à des tensions. Que pensez-vous de la conception résurgente d’une école d’art comme lieu d’apprentissage essentiellement technique ?
Cette conception d’une école d’art comme lieu d’apprentissage d’un savoir-faire me gêne beaucoup. Je ne crois pas au retour en arrière, vers des techniques et une pédagogie passéistes. L’avenir de l’art n’est pas dans l’académisme mais dans l’ouverture sur le monde, sur la pluridisciplinarité, sur le croisement des cultures et des savoirs. L’école d’art est pour moi un laboratoire, un espace d’expérimentation et un lieu de rencontre fantastique. Elle donne cette chance précieuse de croiser des artistes de nationalités et d’horizons différents, de se confronter à d’autres points de vue. Par exemple, j’ai développé à Paris l’atelier Air (Atelier interzone de recherche) qui regroupe des étudiants des Beaux-Arts et des étudiants de l’École d’architecture. Ces deux entités cohabitent sur un même site, mais n’ont habituellement aucun échange. Ce regroupement est une innovation, et devrait permettre d’élargir les perspectives du champ de l’art. François Roche, architecte, enseigne avec moi dans cet atelier, ainsi que le critique d’art et écrivain américain Jeff Ryan, l’artiste autrichien Martin Walde, et l’artiste français Claude Lévêque. Les étudiants peuvent ainsi s’ouvrir à des approches très diverses. C’est ce qui est le plus important, et non pas d’être dans un atelier à apprendre à fabriquer une boîte avec une scie. Pour moi, la technique n’a jamais été un problème en soi, ce qui compte avant tout c’est la capacité à élaborer un projet, à apprendre à développer une pensée qui génère des visions. Le problème de la technique se résout lorsque l’on sait ce que l’on veut réaliser. On trouve toujours des solutions quand on a la nécessité de construire. En ce qui me concerne, je n’ai jamais eu de technique spécifique, je peux un jour utiliser la vidéo, un autre, la photographie, ou n’importe quel autre médium selon mes préoccupations du moment. Il faut savoir collaborer avec des gens qui possèdent un savoir spécifique. En revanche, il est important que les écoles d’art possèdent des ateliers techniques performants, permettant aux étudiants de réaliser leurs projets. L’éducation artistique ne se résume pas à l’apprentissage technique, qui reste un moyen au service d’un projet.
Quelles expositions ont attiré votre attention récemment ?
À Paris, j’ai aimé l’exposition d’Olafur Eliasson à l’Arc [au Musée d’art moderne de la Ville de Paris]. Eliasson, justement, se sert dans son travail d’informations issues du domaine scientifique pour en tirer des formules plastiques originales. Je ne m’intéresse pas à l’art qui ne se sert que de l’art. J’aime m’inspirer de champs différents. Quand mes étudiants sortent leur grimoire de Duchamp, je leur demande de trouver autre chose. Toujours à l’Arc, j’ai trouvé intéressant, bien que cela ne soit pas ma tasse de thé, le travail de Matthew Barney. Ce qui m’a le plus impressionné, c’est la sophistication de l’agencement de l’exposition, le souci du détail, le sol, les murs aux angles adoucis, les plafonds, la lumière... Ici, l’investissement est réel. Enfin, même s’il y a une touche un peu nostalgique dans le concert récent de Kraftwerk, c’est sans doute l’événement qui m’a le plus emballé. Leurs chansons évoquent des choses qui font partie de nos questionnements quotidiens d’êtres vivants, dans ce monde. Par ailleurs, leur mise en scène est très efficace.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Jean-Luc Vilmouth
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°158 du 8 novembre 2002, avec le titre suivant : Jean-Luc Vilmouth