RENCONTRE

James Brett, un personnage aussi singulier que les artistes qu’il promeut

Par Éric Tariant · Le Journal des Arts

Le 31 octobre 2018 - 1155 mots

PARIS

Le fondateur d’une exposition itinérante sur les artistes « outsider » et d’une galerie londonienne sur l’art brut est un étonnant mélange d’homme d’affaires et de prosélyte exalté.

Paris. Chapeau de paille vissé sur la tête, baskets blanches et pantalon découvrant ses mollets, James Brett arrive au rendez-vous, rue du Bac, sur un vieux vélo blanc déglingué. Barbe poivre et sel surmontée de petites lunettes rondes en écaille, l’homme a des airs de zébulon (il refuse catégoriquement de donner son âge). Extraverti et loquace, il jongle entre un français un peu hésitant et l’anglais, sa langue natale. Nous sommes début octobre. Dans quelques jours, il exposera à Frieze Masters et à la Contemporary African Art Fair à Londres une sélection d’artistes haïtiens (Hector Hyppolite, Robert Saint-Brice, Préfète Duffaut, Philomé Obin etc.) proposés à prix d’or par sa galerie, The gallery of Everything. « Il y a eu un surréalisme en Haïti, un surréalisme noir, qui a été complètement oublié depuis l’exposition de 1947 organisée par André Breton à la galerie Maeght. Il faut écrire sur ces histoires oubliées, pas sur moi », plaide-t-il entre deux tasses de café.

Un musée aux airs de cirque ambulant

James Brett est aussi le fondateur de The Museum of Everything, un musée itinérant aux airs de cirque ambulant consacré aux artistes autodidactes. Un musée qu’il a fondé « un peu par hasard », souligne-t-il lui-même, à Londres en octobre 2009. « J’aime le côté un peu ridicule de ce nom, Museum of Everything. Il intrigue les visiteurs et amuse les enfants. » La dénomination a été empruntée à un vieux collectionneur rencontré sur l’île de Wight qui régnait sur un joyeux bric-à-brac entassé dans une école désaffectée. « Mort à l’art outsider. Longue vie aux outsiders», pouvait-on lire, ces années-là, sur la page d’accueil du site internet du musée. Art Outsider ? Le mot, qui évoque à ses yeux la mise à l’écart de ces artistes, le hérisse. James Brett s’est fixé, au contraire, pour mission de les ramener au centre du jeu, de leur donner la visibilité qu’ils méritent. Mais aussi de démocratiser cet art pour le rendre accessible au grand public. « Il s’est nourri, pour construire sa collection, de cette pensée et de ce regard obliques auxquels l’art brut nous invite. Mais sa démarche et son œil le conduisent à y incorporer des œuvres qu’un collectionneur orthodoxe d’art brut aurait probablement écartées », souligne le galeriste parisien Christian Berst.

Depuis huit ans, sa caravane a fait étape à Moscou, Paris, Rotterdam, Venise et à Londres, à la Tate modern notamment qu’elle a investie pour trois jours. Et dernièrement à Hobart, en Tasmanie, où ont été exposées plus de 2 000 œuvres. « Je construis mes expositions comme des films avec un début, un milieu et une fin. L’idée est de montrer une histoire de l’art alternative », lance James Brett, l’air facétieux. Fin manœuvrier, l’homme s’emploie, lorsqu’il bâtit ses projets, à obtenir la caution de « mentors », de figures respectées du milieu de l’art comme Jean-Hubert Martin ou Hans-Ulrich Obrist. Mais aussi d’artistes comme Antony Gormley ou de directeurs de galeries réputées comme Ralph Rugoff, de la Hayward gallery, tous deux invités à débattre sur la définition de l’art, à l’occasion de l’une de ses expositions itinérantes.

Depuis le lancement du « musée », les chiffres de fréquentation ont grimpé en flèche : 35 000 visiteurs en 2010 à Primrose Hill à Londres, 65 000 à Paris en 2012, 100 000 visiteurs à la Tate, et près d’un million de visiteurs au Mona (Museum of old and new art) en Australie, où le Museum of Everything s’est arrêté en 2017-2018 pendant dix mois. Pourquoi un musée itinérant ? « C’est moins cher et plus rigolo. Je peux l’ouvrir et le refermer à ma guise comme un robinet », souligne-t-il. Paradoxe ? James Brett n’a jamais aimé les musées. Est-ce la raison pour laquelle il s’emploie à en casser tous les codes ?

Murs décrépits et briques apparentes

En 2011, il s’installe à Londres sur Oxford street, dans les sous-sols du très chic grand magasin Selfridges qu’il transforme, pour l’occasion, en une enfilade plutôt déprimante de petites pièces avec alcôves. Il expose, là, sous une lumière tamisée, des centaines d’œuvres entassées, du sol au plafond, dans un décor de faux murs décrépits et de briques apparentes. À l’automne 2012, son « musée » s’est arrimé, quelques mois au Chalet Society boulevard Raspail à Paris, dans un ancien immeuble délabré rappelant les docks de Londres. Parquets fatigués, murs défraîchis et lumière d’outre-tombe. C’est dans cette ancienne école désaffectée que James Brett a exposé 500 œuvres de sa foisonnante collection d’art brut et populaire comprenant notamment de multiples Henry Darger et Carlo Zinelli. Une sculpture animée de l’ancien paysan et sabotier Émile Ratier était posée sur le sol d’une salle d’eau. « Il y avait trop de jeu et trop de facéties dans son exposition parisienne », souligne Antoine de Galbert, le fondateur de la Maison rouge, néanmoins conquis par ce trublion « tout fou » et « génial ». « Quand j’ai commencé à m’intéresser à ce domaine, j’ai été sidéré de constater que la plupart de ces artistes autodidactes étaient complètement ignorés, qu’ils n’appartenaient pas à l’histoire de l’art et ne pouvaient, de ce fait, pas prétendre être exposés à la Tate modern, au MoMA ou au Musée national d’art moderne à Paris, explique James Brett. C’est une attitude réactionnaire. Un comportement digne de clubs privés. »

C’est en arpentant le sud des États-Unis, où il découvre un art populaire afro-américain qui le subjugue, « l’équivalent plastique du blues ou du free-jazz », que cet ancien homme de cinéma et de télévision décide de créer une institution qui sera consacrée aux artistes de l’ombre. L’outsider veut bousculer tout à la fois l’establishment et les frontières de l’art. Soustraire à un petit aréopage le droit de définir, seul, ce qui est du ressort de l’art et ce qui ne l’est pas. Riche, très riche, doté de budgets d’acquisition que l’on dit très conséquents, il fait ses emplettes dans les galeries et sur les foires d’art, mais aussi auprès d’institutions accueillant des adultes qui créent dans le cadre d’ateliers protégés. Redoutable négociateur, celui qui rappelle à l’envi que sa structure est une organisation à but non lucratif, une charity, n’hésite pas à faire pression sur ses interlocuteurs pour enrichir sa collection par tous les moyens, et acheter au prix le plus bas possible, voire à se procurer gratuitement des pièces. « Il ne respecte en effet pas toujours les règles du jeu. Mais, il est honnête », tempère Antoine de Galbert.

Sa démarche est-elle sincère ? A-t-il flairé le bon coup, la cote de ces artistes ne cessant de grimper sur le marché ? Ou est-il réellement ému par cet art des marges, comme le laissent entendre ceux qui le côtoient ? « Quand j’ai le vent en poupe, je n’ai rien d’autre en tête qu’une expansion à l’échelle mondiale. The Museum of Everything exposera dans tous les pays du monde », lançait-il, mi-figue, mi-raisin, en 2012 à une journaliste de The Observer.

2009
Création de The Museum of Everything à Londres
2012
The Museum of Everything investit le Chalet society à Paris
2013
Expose Carlo Zinelli dans les Giardini pendant la 55e Biennale de Venise 2013
2016
Ouvre une galerie commerciale The Gallery of Everything à Londres
2017-2018
Expose 2 000 œuvres d’art au Museum of old and new art (Mona) en Tasmanie.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°510 du 2 novembre 2018, avec le titre suivant : James Brett, Un personnage aussi singulier que les artistes qu’il promeut

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