Les arts et le patrimoine ont été endeuillés par la disparition de nombreuses figures.
Depuis la disparition de Gérard Fromanger, le 18 juin dernier [JdA n° 570], le milieu artistique a été particulièrement affecté cet été. Outre les figures ci-dessous, on déplore la mort survenue le 11 juillet, à l’âge de 87 ans, de l’artiste russe Oleg Tselkov installé en France depuis de longues années, puis de l’écrivain et éditeur italien Roberto Calasso (1941-2021), le 28 juillet. Plus récemment, l’artiste et président de la Maison des artistes, François de Verdière, est décédé à l’âge de 77 ans, le même jour que le philosophe Jean-Luc Nancy (né en 1940) que le Journal des Arts avait interviewé l’an dernier [JdA n° 547].
La vie de Christian Boltanski est une machine à mythologies : né quelques jours après la Libération de Paris, alors que son père survit à l’occupation nazie dans une cache, l’artiste délaisse tôt l’école ainsi que la peinture pour explorer l’odyssée de la mémoire intime, comme le prouve Concession à perpétuité (1969), une œuvre séminale conçue avec Jean Le Gac, Gina Pane et Annette Messager, qui deviendra sa compagne. Depuis son atelier de Malakoff, plébiscité par la scène internationale, consacré par une rétrospective au Centre Pompidou, en 2019, Boltanski n’aura de cesse de fouiller les petites histoires, ces métonymies de la grande, et d’investiguer la puissance imagée du souvenir, particulièrement de la relique – archives photographiques (Les Enfants de Berlin, 1975), accumulation de vêtements (Personnes, à la Monumenta de 2010) ou battements de cœur enregistrés. À la galerie Marian Goodman, sa dernière exposition peuplée de films « subliminaux », d’images et de sons, formait une synesthésie envoûtante, voire une réconciliation avec le présent, ce pardon maquillé en promesse.
Né à Saint-Malo en 1929, Michel Laclotte commence sa carrière en 1955 à l’Inspection générale des musées de province, un poste qui lui permet de présenter en 1976 au Musée du Petit Palais d’Avignon la prestigieuse collection Campana, longtemps dispersée. Voir et revoir, connaître et reconnaître : l’œil de Michel Laclotte en fait un attributionniste hors pair, à l’égal de ses maîtres et amis comme Federico Zeri, Roberto Longhi ou Bernard Berenson, et le grand spécialiste des primitifs italiens, auxquels il consacre des expositions pionnières (« De Giotto à Bellini », 1956). Homme de musée(s), ainsi que le rappellent ses mémoires (Éditions Scala, 2003), Laclotte inaugure en 1986 le Musée d’Orsay, puis organise autour d’une pyramide tant décriée le Grand Louvre dont il devient directeur l’année suivante. Créé en 2001, l’Inha fut l’une des dernières batailles d’un homme que rien n’engonçait – ni le conformisme, ni l’élégant costume de velours – et dont les yeux d’acier, coiffés par des sourcils broussailleux, trahirent jusqu’à la fin une pulsion scopique et une passion scientifique, une joie et une exigence souverainement Indémêlables.
Comme Yves Klein, elle fut la femme du bleu, de ce « bleu Asse » qui est moins une couleur pure qu’une modulation lumineuse. Née à Vannes en 1923, Geneviève Asse, née Bodin, étudie à l’École des arts décoratifs de Paris avant de contribuer, en tant qu’ambulancière de la 1e Division blindée, à la libération du camp de concentration de Theresienstadt, ce qui lui vaut de recevoir, en 1945, la croix de guerre et de mourir aux Invalides. Libérer, se libérer : après des natures mortes influencées par Jean Siméon Chardin, après sa première exposition à la galerie Michel Warren, en 1954, proche de Nicolas de Staël et de Nicolas Poliakoff, Asse épure sa peinture jusqu’à une abstraction singulièrement ascétique, où chaque toile conserverait des traces de réel – rais de lumière, horizon de la mer, verticalité d’une fenêtre. Célébrée par Francis Ponge et Samuel Beckett, la peinture de Geneviève Asse est exposée au Centre Pompidou et au Musée des beaux-arts de Lyon, respectivement en 2013 et 2015, et jouit désormais d’un accrochage spécifique dans sa ville natale, au Musée de La Cohue.
Qu’il portât un foulard de soie, une écharpe violette ou le costume vert et or d’académicien des beaux-arts, qui l’intronisa en 1997, Guy du Temple de Rougemont, né à Paris en 1935, ne sacrifia jamais son élégance aristocratique. Artiste pluridisciplinaire à mi-chemin entre le pop art et le minimalisme, ce « géomètre de la couleur » côtoie Andy Warhol et Frank Stella à New York, où il est exposé au seuil des années 1970, avant de revenir en France où ses œuvres bariolées trouvent à se déployer dans l’espace – cylindres, bancs serpentins, assises baroques et lampes « nuages ». Volontiers monumentales, encouragées par la commande publique, les œuvres de Guy de Rougemont habillent bientôt les centres névralgiques de l’espace public, depuis le parvis du Musée d’Orsay (1986) à son intervention au Musée en plein air d’Hakone au Japon (1983), en passant par la peinture murale de 300 mètres de long au Centre d’accueil et de soins de Nanterre. Jusqu’au bout, Guy de Rougemont décloisonna les genres et fut un grand décorateur, au sens noble du Terme.
Né en 1940 à Monroe (États-Unis), le peintre et photographe Chuck Close s’est éteint à l’âge de 81 ans en Californie. Après avoir été tenté par l’expressionnisme abstrait d’Arshile Gorsky et de Willem de Kooning, l’artiste étudie un an à l’Akademie der Bildenden Künste de Vienne avant de revenir aux États-Unis en 1965. Émancipé de la gestualité expressionniste, Close définit tôt ce que sera désormais son ambition, et sa marque de fabrique : réinvestir par la peinture des photographies – publicités ou portraits –, pour en tirer des toiles de grand format, ainsi de son emblématique Big Nude (1967), Olympia moderne dont la peau porte les stigmates du bronzage. Exposé dès 1971 au LACMA (Los Angeles), présent à la Documenta 5 de l’année suivante, l’artiste multiplie des portraits dont l’hyperréalisme est démenti à mesure que le regardeur approche des œuvres, lesquelles trahissent ici une mise au carreau, là une pixellisation colorée qui, à la manière des divisionnistes, semble jouer avec l’optique. Presque logiquement, passant du pixel à la tesselle, l’une de ses dernières œuvres majeures est un autoportrait en mosaïque conçue en 2017 pour le métro New-yorkais.
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Ils se sont éteints cet été
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°572 du 3 septembre 2021, avec le titre suivant : Ils se sont éteints cet été