Passionnés d’histoire et d’art, de plus en plus de vidéastes indépendants produisent des formats courts vus
des dizaines de milliers de fois sur YouTube. Leur notoriété on line naissante a fini par intéresser les musées qui, eux, ont du mal à produire des vidéos qui attirent les internautes.
FRANCE - Trois minutes qui changent une vie. En avril 2015, Manon Champier, plus connue aujourd’hui sous son nom de scène Manon Bril, gagne le prix du jury lors de l’étape toulousaine du concours « Ma thèse en 180 secondes ». Lancé au Québec en 2012, cet événement itinérant de vulgarisation scientifique rassemble un nombre croissant de chercheurs, de toutes les disciplines. Doctorante en histoire de l’Antiquité et comédienne amateur, Manon est plébiscitée pour son humour, son ton alerte et ses qualités de vulgarisatrice. Peu après, elle participe à un concours de vidéos organisé pour les 2 000 ans de la ville de Toulouse. Sa vidéo postée sur YouTube est vue près de 80 000 fois en quelques semaines. Elle crée sa propre chaîne « C’est une autre histoire » (CUAH) en septembre 2015. CUAH compte aujourd’hui plus de 65 000 abonnées et plus d’un million de vues en une quarantaine de vidéos. Dans la série intitulée « Tu vois le tableau » (16 vidéos), elle commente une œuvre classique ou moderne, à partir d’un fac-similé collé sur un mur, en extérieur, en moins de 10 minutes : analyses techniques, esthétique, historique, tout y passe. En avril 2016, la Réunion des Musées nationaux-Grand Palais (Rmn-GP) lui commande une vidéo pour illustrer l’exposition “Les chefs-d’œuvre du musée de Budapest”, présentée au Musée du Luxembourg. Les 6 minutes de Manon Bril sur les vierges à l’enfant sont vues 35 000 fois, un des meilleurs scores du Grand Palais en quatre ans et plus de 500 vidéos postées. Pour celle qui soutiendra sa thèse en fin d’année, les vidéos représentent un petit complément de revenu, à peine à hauteur d’un SMIC mensuel (voir encadré).
Des médiateurs culturels d’un nouveau genre
Sur YouTube, dans le domaine culturel, Manon Bril ne figure pourtant pas encore parmi les têtes d’affiche. En France, les vidéastes – ils récusent le terme de « youtubeurs », étant diffusés sur plusieurs canaux – sont nombreux à se contenter de commenter des œuvres. Le format est un peu toujours le même : face caméra, ils débitent un texte souvent rapide, savant mais drôle, et illustrent le propos par un grand nombre d’images fixes ou animés, en surimpression sur un décor familier (un bureau ou un canapé). Les cinéphiles et les mélomanes caracolent, en nombre de vues, loin devant les amateurs d’arts plastiques. « Avec le format vidéo, il est toujours difficile de rendre vivante l’image fixe », analyse François Theurel, alias Le Fossoyeur de films, un des chroniqueurs de cinéma les plus suivis sur YouTube (612 000 abonnés). Les vidéastes « culturels » ne figurent pas dans le top 10 des youtubeurs français (voir encadré), mais pourraient s’en rapprocher.
Les meilleurs succès d’audience de musées sont venus de ces vidéastes culturels, mais non spécialisés en arts visuels. En janvier 2016, le Louvre en rencontre sept. Il propose à trois d’entre eux de tourner gratuitement au Louvre, un mardi de fermeture : Axolot (curiosités et mystères historiques, 430 000 abonnés), Nota Bene (l’histoire avec un grand « H » de façon accessible, 460 000 abonnés) et Le Fossoyeur de Films produisent deux vidéos chacun : une pour leur chaîne, une autre pour celle du musée. Quand la chaîne YouTube du Louvre (19 000 abonnés) suscite au mieux 30 000 vues avec ses vidéos maison (la majorité ne dépasse guère les 2 000 vues), les vidéos réalisées par les trois vidéastes suscitent entre 100 000 et 200 000 clics chacune, et plus du double sur leurs chaînes respectives (qui ont plus d’abonnés). La recette du succès semble simple à première vue : il faut laisser aux vidéastes le choix des thèmes, les moyens de travailler et toute la liberté de ton nécessaire. « Certaines vidéos demandent une semaine, d’autres sont le fruit d’un travail de recherche de plusieurs mois », résume Benjamin Brillaud, alias Nota Bene, un des plus célèbres historiens du web.
Encouragés par ces vidéastes culturels au succès prometteur, de nombreux amateurs d’histoire de l’art s’essaient au format et certains sont vite repérés par les institutions. La youtubeuse « Art comptant pour rien » est une des rares à parler d’art contemporain loin des clichés. L’Artichaut, Iconologie, Sous la toile ou Reg’art proposent pour leur part des analyses parfois très justes, mais manquent souvent de rythme. Certaines collaborations entre musées et vidéastes ne fonctionnent pas et sont des échecs.
Le Grand Palais a ainsi tâtonné avant de trouver le bon ton : les vidéos de Jhon Rachid (un youtubeur comique, qui compte pourtant près d’un million d’abonnés), intitulées « les expos de Victor », vont si loin dans la dérision potache qu’on a du mal à en saisir le propos. Sans succès public ni critique, la collaboration s’est arrêtée rapidement. Depuis, la Rmn-GP a changé son fusil d’épaule, conviant des spécialistes en histoire de l’art, comme NaRt. Celle qui se présente comme « une Stéphane Bern sous acide » propose un ton plutôt sage et des textes bien travaillés sur le fond. Quoique encore peu suivie (17 000 abonnés) ; elle contribue néanmoins à diversifier le ton de l’institution.
Un ton libre et décomplexé
Pourquoi les musées font-ils appel à ces vidéastes ? L’enjeu est générationnel. Pour Adel Ziane, directeur de la communication du Musée du Louvre, « près de la moitié de notre public a moins de 25 ans, mais nous connaissons une très forte déperdition chez les 26-40 ans. Cette génération étant la première à avoir consommé fortement du YouTube, ce canal est un moyen de garder un lien avec eux, avant qu’ils ne redeviennent des visiteurs physiques ».
Et les vidéastes compensent la difficulté des institutions à réaliser des vidéos à succès avec leur service audiovisuel. La plupart des autoproductions des grands musées ne sont vues que des centaines de fois, une misère sur YouTube. Sur la chaîne de la Rmn-GP qui réunit 11 000 abonnés, un ou deux formats courts, notamment sur Bill Viola (vidéo oblige), ont connu du succès. Au château de Versailles (15 000 abonnés) trois animations bien conçues sont sorties du lot. Au Musée d’Orsay, la bande-annonce sulfureuse de l’exposition consacrée à Sade a battu les records (l’érotisme fonctionne toujours bien, sur YouTube comme ailleurs). Mais à part ces exceptions, les scores sont anecdotiques. Le Centre Pompidou reconnaît s’être « d’abord focalisé sur d’autres médias sociaux ». À l’étranger, si l’on considère le public potentiel des grands musées anglo-saxons, les scores ne sont pas significativement meilleurs. Seul le British Museum se démarque de temps en temps, quand des conservateurs se prêtent au jeu pour présenter les collections en singeant, dans un humour typiquement britannique, le ton habituel des youtubeurs.
Aucun grand musée, malgré ses moyens, n’a encore trouvé le ton juste pour fidéliser les internautes à la hauteur de sa fréquentation physique. Le mérite des vidéastes indépendants connaissant du succès avec une histoire de l’art académique, mais proposée sur un autre ton, n’en est que plus grand.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Histoire de l'art sur Youtube, des débuts timides
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°477 du 14 avril 2017, avec le titre suivant : Histoire de l'art sur Youtube, des débuts timides