PARIS - Devant la multitude de sujets qu’offrent les récits sur la Guerre de Troie, Gustave Moreau invite à s’interroger sur ses origines.
Pâris se doutait-il au moment d’enlever Hélène, « la plus belle des mortelles » dont l’amour lui avait été promis par Aphrodite, que s’ensuivrait une dizaine d’années d’un conflit sans merci opposant les Troyens aux Grecs ? Dans L’Illiade, le roi Priam a beau tenter d’alléger le sentiment de culpabilité de la belle, celle-ci ne peut qu’assister impuissante aux meurtres de civils et de soldats tombés par milliers en son nom : « Avance ici ma fille, assieds-toi devant moi… Tu n’es pour moi cause de rien, les dieux seuls sont cause de tout ». Des propos qu’aurait pu tenir Moreau en direction de son Hélène, l’une de ses héroïnes fétiches avec Salomé. La princesse de Troie a figuré dans l’œuvre de Gustave Moreau selon un « principe créatif [qui lui était cher], à savoir la revisitation jusqu’à l’envoûtement d’un même thème », pour reprendre les termes de Marie-Cécile Forest, directrice du Musée Gustave Moreau. Dès 1852 jusqu’à sa mort, le peintre s’est laissé le champ libre pour une variation sur le même thème, dans laquelle Hélène arbore plusieurs visages que le Musée Gustave Moreau, à Paris, se propose de passer en revue dans une exposition dossier aussi concise qu’efficace.
Le point de départ est un tableau aujourd’hui disparu. Hélène sur les remparts de Troie, présenté au Salon de 1880 – le dernier auquel participa Gustave Moreau – n’a plus donné signe de vie depuis sa vente en 1913, lors de la succession Jules Beer. Il ne figure dans l’exposition que sous la forme d’une photographie en noir et blanc imprimée sur toile, tirée au même format que l’original à partir du catalogue de vente de 1913. Comme à Angers, le commissariat a été confié à un jeune historien de l’art, Pierre Pinchon, dont le mémoire de maîtrise traitait du mythe d’Hélène de Troie dans l’œuvre de Moreau. Ce dernier relève que le peintre s’est basé sur les écrits d’Euripide et de Goethe, et non d’Homère ou de Virgile, pour y puiser l’inspiration de son Hélène. Dans la toile du Salon de 1880, Moreau la présente debout sur un piédestal, aussi raide qu’une colonne, sur un fond d’architecture piranésienne. À ses pieds gisent les corps amoncelés. Malgré son apparente indifférence, Hélène semble aussi paralysée que son libre arbitre. Dans Hélène à la porte Scée, Moreau va beaucoup plus loin sur le plan esthétique en traduisant le texte Euripide. Hélène est devenue une illusion d’optique façonnée par Héra, une « sinistre statue de brume » au visage indéterminé.
Enfin, Hélène glorifiée joue sur la consécration de la princesse au rang de divinité. Au cours de cette « assomption païenne », la reine de la beauté antique prend une dimension mystique. Quel meilleur exemple pour illustrer la devise de Moreau, « l’art est l’unique moyen pour l’homme d’exprimer ce qu’il y a de sacré en lui » ?
Jusqu’au 25 juin, Musée Gustave Moreau, 14, rue de La Rochefoucauld, 75009 Paris, tél. 01 48 74 38 50, www.musee-moreau.fr, tlj sauf mardi 10h-17h15. Catalogue, éditions Fage, 128 p., 20 euros, ISBN 978-2-84975-257-9
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Hélène, muse de Moreau
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Abonnez-vous dès 1 €- Commissaires : Marie-Cécile Forest, directrice du musée ; Pierre Pinchon, historien de l’art, Université de Genève
- Scénographie : Hubert Le Gall
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°372 du 22 juin 2012, avec le titre suivant : Hélène, muse de Moreau