PARIS
Président du conseil d’administration de l’École nationale supérieure des beaux-arts (Ensba) de Paris depuis décembre 2004, Evrard Didier est banquier. Il a été managing director chez Deutsche Bank France, et président de la Banque Worms. Auparavant, chez Paribas, il a été responsable des activités en Asie, à Paris, Taïpeh et Singapour. Dans le domaine de l’art, il a été membre du comité de direction de la Fondation Paribas, responsable des arts plastiques de 1994 à 1999, et nommé conseiller du président du Centre Pompidou pour le projet du musée d’art moderne à Hongkong. Il est actuellement associé au sein d’une société spécialisée dans la gestion d’actifs sur les marchés émergents et l’Asie. Evrard Didier a répondu à nos questions.
L’Ecole nationale supérieure des beaux-arts a-t-elle un rayonnement international ? Comment peut-on le renforcer ?
Oui, l’École a un rayonnement international, la direction a beaucoup fait dans ce domaine. Il existe des accords passés avec un grand nombre d’écoles de beaux-arts de différents pays. Un tiers des étudiants vient de l’étranger. Le corps professoral est aussi de plus en plus international, avec des artistes comme Richard Deacon ou Giuseppe Penone, en dehors des enseignants français de grande qualité. Le cursus a été mis aux normes européennes. Le constat, c’est qu’il faut continuer l’internationalisation de l’École, élément clé dans la réflexion sur la promotion de la création française à l’étranger.
La création française ne vous semble-t-elle donc pas assez reconnue à l’étranger ?
Cela me semble une évidence, et les raisons en sont multiples. À partir du moment où nous avons des artistes qui tiennent la route, pourquoi n’arrivent-ils pas ou peu à se faire reconnaître à l’international ? Lors de la Seconde Guerre mondiale, un grand nombre d’artistes européens sont partis aux États-Unis où ils ont ensemencé la création américaine. Par la suite, cette création a été aidée par le modèle économique, financier et fiscal américain. Nos institutions n’ont pas non plus suffisamment montré la création française.
Quel rôle peut jouer l’École dans cette reconnaissance ?
Le volet éducation est un élément fondamental de cette reconnaissance. Nous devons pousser les étudiants à aller à l’étranger en participant à des échanges, soit entre pays européens, soit avec le monde anglo-saxon. Il faut faire venir des étudiants étrangers et rendre le corps professoral de plus en plus international. Mais nous butons ici sur la question de la rémunération, qui est en décalage par rapport aux écoles américaines ou européennes. Des solutions seraient possibles en s’appuyant notamment sur le secteur privé. Nous avons monté une association des amis de l’Ensba, dont la présidente est Agnès b, qui a une stature internationale. L’association a fait entrer dans le conseil d’administration des gens de différentes spécialités, ainsi le galeriste Thaddaeus Ropac ou l’expert Marc Blondeau, ou encore un entrepreneur comme Marc Ladreit de Lacharrière, lesquels ont tous une stature internationale. J’aimerais que cette association ne se limite pas à la France. À l’image du Louvre ou de Versailles, elle devrait développer des relais, aux États-Unis et dans d’autres pays. L’internationalisation, c’est aussi créer un espace dans l’École qui permette d’organiser des colloques, des échanges entre des artistes français et européens. Les collections me semblent aussi constituer un vecteur très important. L’Ensba possède une collection consi-
dérable qui n’est pas exploitée faute de place. Le Palais des études est en phase finale de rénovation. Il sera possible d’y monter des expositions destinées aux étudiants et au public parisien, lesquelles pourront circuler à l’étranger en accord avec de grandes institutions. D’autres voies sont à explorer à l’international. Lorsque j’étais conseiller de Bruno Racine, j’ai beaucoup œuvré en faveur du déploiement du Centre Pompidou à Hongkong.
Comme la Sorbonne à Abou Dhabi (Émirats arabes unis), imaginez-vous une implantation de l’Ensba au Moyen-Orient ?
Au Moyen-Orient ou ailleurs. Il est un peu tôt pour dire où nous pourrions aller, mais c’est un projet que nous considérons avec
attention. Il est possible de créer une école dans un pays étranger, dans des régions qui veulent se donner une marque culturelle.
Quelles sont les raisons qui peuvent motiver des étrangers à effectuer leurs études à Paris plutôt qu’à Londres ou à New York ?
L’Ensba a une image reconnue. La qualité de la création va grandissante, nous le constatons chaque année avec les diplômés. De plus en plus de galeries, notamment étrangères, viennent voir l’exposition des diplômés programmée en juin. Le seul point qui m’embête, c’est le nombre très réduit d’étudiants issus du monde anglo-saxon. Il faut les convaincre que nous avons une place contemporaine aussi bonne qu’ailleurs et surtout des spécificités. Par exemple, nous avons conservé l’enseignement de tous les types de création. L’ouverture prochaine de nos espaces à Saint-Ouen permettra de loger les « créations lourdes » (bois, fonte) dans un environnement extraordinaire situé à côté du marché aux puces.
Aujourd’hui, toutes les administrations culturelles disposent de moins en moins de moyens publics. Quelles sont les possibilités de ressources propres de l’Ensba ? Le mécénat est-il possible quand, pour une entreprise, les retombées en termes d’image sont moindres que lors du soutien à un musée ?
La part du mécénat est encore faible. La situation d’une école est évidemment différente de celle d’un musée, mais nous avons trouvé des mécènes pour la rénovation de l’École, pour accompagner des étudiants à l’étranger, pour créer ce cabinet d’amateurs d’estampes et de dessins dirigé par Jean Bonna. L’Association des amis de l’Ensba joue un rôle fondamental qui peut passer par l’aide aux étudiants, avec éventuellement l’octroi de bourses, ou un soutien lors d’un voyage à l’étranger. Nous avons décidé d’arrêter les défilés de mode, qui représentaient 10 % du budget, parce que cela déséquilibre la vie de l’École, et a des conséquences sur le bâtiment. Nous voulons les remplacer soit par des expositions organisées pour le compte d’organismes extérieurs, dans le même domaine que l’École (photo, art contemporain), soit par l’exploitation des collections de l’École avec des expositions temporaires réalisées à l’étranger.
L’Ensba fait face à un problème d’exiguïté des locaux. Où en sont les discussions avec l’école d’architecture mitoyenne ?
Nous travaillons ensemble pour une exploitation optimale de la rue Bonaparte et du quai Malaquais. Nous pourrions imaginer des études communes aux deux écoles, notamment un doctorat.
Comment expliquez-vous que les artistes français évoquent rarement leurs écoles ou leurs maîtres, à la différence de leurs homologues allemands ?
Un artiste existe par sa propre présence, sa propre création. Ceci étant dit, nous bénéficions d’enseignants dotés d’un rayonnement international, et je suis persuadé que les étudiants qui sortiront dans quelques années feront plus ample référence à leurs professeurs d’aujourd’hui comme Jean-Marc Bustamante, Giuseppe Penone, Christian Boltanski, Annette Messager et bien d’autres.
N’y a-t-il pas, selon vous, trop d’écoles d’art en France ?
Il ne faut pas en limiter le nombre. En revanche, ces écoles doivent se coordonner, notamment dans leur action vis-à-vis de l’étranger. Elles doivent mettre en commun leur volonté de développement. Il faut s’assurer, auprès des conseillers culturels à l’étranger, que l’information existe, qu’elle est complète et synthétique pour des gens qui chercheraient une école d’art en France.
Les écoles d’art forment-elles encore des artistes ?
Il serait illusoire de penser que tous les étudiants deviendront des artistes, mais nous formons des gens qui créent. L’Ensba a une vocation généraliste, avec une palette de possibilités.
Vous êtes aussi collectionneur. Quels sont les artistes qui vous intéressent en ce moment ?
J’ai beaucoup aimé et essayé d’aider les artistes français. J’aime le Nouveau Réalisme, Jacques Villeglé, de même que Daniel Buren et Jean Pierre Raynaud, le minimalisme, Josef Albers et Donald Judd, Bernar Venet, François Morellet, ainsi que des artistes allemands tels Anselm Kiefer et Georg Baselitz. Je regarde la photographie, mais j’ai un faible pour la peinture et la sculpture.
Le contexte français est-il propice à la collection ?
Je pense que les pouvoirs publics y sont sensibles. Le régime pour les entreprises me paraît assez complet, mais du côté des particuliers, il faudrait regarder les possibilités offertes par les fondations. Je ne sais pas si c’est lié à l’état de la fiscalité, ou si cela vient de l’état d’esprit des collectionneurs français, mais j’ai l’impression qu’ils prennent moins de risques dans leurs choix que les étrangers – et j’en suis un exemple, même si je regarde maintenant de près la création des diplômés de l’École des beaux-arts, de grande qualité. Cela a toujours été le cas depuis l’impressionnisme, à côté duquel les Français sont passés.
Une exposition vous a-t-elle marqué dernièrement ?
J’ai vu l’exposition Hans Hartung à la Fondation Maeght (1). C’était le moment de remontrer cet artiste. L’exposition était intéressante pour certains aspects de sa création, mais elle était déséquilibrée. Il y avait un peu trop d’œuvres des années 1970-1980. Il y a bien évidemment l’exposition « Academia, qui es-tu ? » à la chapelle des Beaux-Arts (2), en attendant l’exposition « Figures du corps » à l’École au moment de la FIAC.
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Evrard Didier, président du conseil d’administration de l’Ensba
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°287 du 19 septembre 2008, avec le titre suivant : Evrard Didier, président du conseil d’administration de l’Ensba