Le Mingei fut créé en 1925 pour valoriser l’artisanat traditionnel japonais. Aujourd’hui encore, son influence est notable sur le design contemporain du pays du Soleil levant
Créé au Japon en 1925 pour valoriser son artisanat traditionnel, le Mingei – diminutif de « Minshuteki Kogeï », littéralement « art populaire fait par le peuple et pour le peuple » – entend souligner la beauté des objets du quotidien fabriqués à la main par des anonymes. Tout comme le mouvement anglais Art & Craft quelques décennies auparavant, il a vu le jour en réaction à l’industrialisation galopante du pays. C’est le philosophe Yanagi Soetsu (1889-1961) qui en a érigé les grands principes. Élaborant une sorte de « guilde », Soetsu s’est entouré d’imminents créateurs comme les céramistes Shoji Hamada (1894-1978), Bernard Leach (1887-1979) et Tomimoto Kenkichi (1886-1963), le calligraphe et graveur sur bois Munakata Shikô (1903-1975) ou encore Serizawa Keisuke (1884-1993) qui s’est illustré dans le travail du textile et de la teinture. Sans oublier le potier Kawaï Kanjiro (1886-1966), dont l’atelier et ses impressionnants fours se visitent encore aujourd’hui à Tokyo. Yanagi Soetsu a aussi lancé une revue et constitué un cercle privilégié de collectionneurs. Plus qu’un style – chaque artisan avait ses propres aspirations plastiques –, le Mingei correspond à cette philosophie qui érige l’objet ordinaire au rang d’œuvre d’art et libère les arts populaires traditionnels du carcan ethnographique auquel ils sont trop souvent cantonnés. Il est un paradoxe inhérent au Mingei : il prône l’anonymat des artisans, alors que chaque protagoniste du mouvement fut nationalement reconnu. Et ce, jusqu’à la création dans les années 1950 du titre de « trésor national vivant », dont ils bénéficièrent pour la plupart. Accordé par l’empereur aux artisans prestigieux, ce titre a toujours vocation à sauvegarder les savoir-faire traditionnels du Japon et actuellement, on compte une petite centaine de trésors nationaux vivants. Éloge de la tradition et de la beauté immuable des choses face à l’urbanisation, le Mingei a parfois pu être récupéré par certaines tendances nationalistes.
Esthétique du quotidien
Si le mouvement trouve aujourd’hui encore quelque écho dans le design contemporain, c’est essentiellement grâce au fils de Soetsu : Yanagi Sori (né en 1915). « C’est Sori qui a ouvert la voie de la modernité et du design. C’est le premier à considérer qu’il y avait des bonnes choses à tirer de l’industrialisation. Il s’est ouvert au monde, s’est intéressé à la diversité des matériaux », explique Germain Viatte, commissaire, avec Akemi Shiraha, de l’exposition que le Musée du quai Branly à Paris consacrera à partir du 29 septembre à l’esprit Mingei et son influence sur le design. Le terme « Mingei » est souvent considéré comme dépassé par les créateurs contemporains. En revanche, Yanagi Sori, lui, demeure l’une des figures emblématiques du design japonais, érigée en modèle par des personnalités comme Issey Miyake (lire p. 18). Assistant de Charlotte Perriand de 1940 à 1942 au Japon, Yanagi Sori s’est illustré dans de nombreux objets pour la table à l’exemple de porcelaines, de céramiques, de verreries… Son fameux tabouret Butterfly, conçu en 1956, a marqué une étape essentielle dans l’univers du design, tout comme les tables basses ou les lampes Akari d’Isamu Noguchi. Ce dernier sera lui aussi présent au Musée du quai Branly à l’automne, son œuvre témoignant de cet « esprit Mingei » qui donne aux choses du quotidien une noblesse esthétique. Fils du poète japonais Yonejiro Noguchi et de l’écrivaine américaine Leonie Gilmour, sa vie fut constituée d’allers-retours entre l’Orient et l’Occident, avec, en 1927, un passage par l’atelier de Brancusi déterminant pour son œuvre. « Tout est sculpture », aimait à dire Noguchi qui fut aussi bien influencé par la peinture traditionnelle chinoise que par Le Corbusier, Charlotte Perriand, le Surréalisme ou encore par les arts primitifs africains et précolombiens. De 1936 à 1960, il a, en outre, réalisé de nombreux décors pour la danseuse et chorégraphe Martha Graham. Spécialiste de l’histoire du design japonais, le professeur Ryu Niimi décrit Noguchi comme « un véritable cosmopolitain, un enfant sauvage dont les liens avec l’Europe et les États-Unis sont très forts. Il refuse le cloisonnement des genres, mélange les formes, les matières ». On retrouve cet état d’esprit chez les designers du 21_21 Design Sight (lire p. 18) tel Naoto Fukasawa qui travaille autour de « la relation entre le geste, le corps et l’objet ». Et de préciser : « il s’agit de trouver le lien évident, qui existe déjà, mais qu’on ne voyait pas. Je ne cherche pas la simplicité à tout prix, cela vient naturellement. Ce que j’aime dans la haute technologie, c’est quand elle ne se voit pas ». Une manière de considérer le monde qui puise, en partie, ses racines dans cette morale esthétique érigée dans le Japon du début du XXe siècle.
- À venir : L’Esprit Mingei au Japon : Artisanat populaire et Design, du 29 septembre 2008 au 11 janvier 2009, Musée du Quai Branly, 37, quai Branly, 75007, Paris, tél. 01 56 61 70 00, www.quai branly.fr, tlj sauf lundi, 11h-19h et jeudi, vendredi et samedi 11h-21h. Commissaires : Germain Viatte et Akemi Shiraha.
- Au Japon : The Nihon Mingeikan (japan folk crafts museum), 4-3-33 Komaka, Meguro-ku, Tokyo, tél. 81 (0) 3 34 67 45 27, http://www.mingeikan.or.jp, tlj sauf lundi, 10h-17h.
- Ohara Museum of Art, 1-1-15 Chûô Kurashiki City Okayama préfecture, Kyoto, tél. 81 (086) 422 0005, http://www.ohara.or.jp, tlj sauf lundi 9h-17h.
- The Isamu Noguchi Garden Museum Japan, 3519 Mure, Mure-cho, Kita-gun, à Kagawa-Ken, tél. 81-87-870-1500, www.isamunoguchi.org.jp sur rendez-vous uniquement.
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Esprit Mingei, es-tu là ?
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°280 du 25 avril 2008, avec le titre suivant : Esprit Mingei, es-tu là ?