Présidente de la Terra Foundation for American Art, Elizabeth Glassman dévoile les clefs de sa stratégie pour l’institution.
Il y a quelques mois, le Musée d’art américain de la Terra Foundation for American Art fermait ses portes à Giverny pour laisser place à un nouvel établissement public de coopération culturelle (EPCC), le Musée des impressionnismes. Basée à Chicago, la Fondation Terra n’abandonne pas pour autant la commune rendue célèbre par Claude Monet : elle est propriétaire de l’édifice qu’elle met gracieusement à la disposition de l’EPCC, sa présidente Elizabeth Glassman siège à son conseil d’administration ainsi qu’au comité scientifique et une partie de ses équipes continue d’assurer les résidences d’artistes, d’étudiants et de chercheurs spécialisés en art américain. Enfin, la prochaine exposition du musée sur Joan Mitchell, financée en partie par la fondation, a pour commissaire Sophie Levy, la future directrice du Musée d’art moderne Lille Métropole, qui fut conservateur du Musée d’art américain pendant plusieurs années. Aujourd’hui, la fondation multiplie ses activités, centrées sur le mécénat d’expositions d’art américain à travers le monde. À l’occasion de l’inauguration de son quartier général européen, à deux pas de l’Opéra de Paris, Elizabeth Glassman commente l’actualité.
Quelles sont les raisons de la fermeture du Musée d’art américain de Giverny ? était-il devenu un poids financier ?
Nous ne pensons pas en termes de fermeture, mais d’évolution. Notre mission est de présenter, enseigner, divertir et animer le dialogue autour de l’art américain à travers le monde. Aussi formidable soit-il d’avoir un musée consacré à cette mission, à Giverny comme à Chicago, le public reste réduit. Notre mission s’est tant développée et a tant évolué que l’investissement financier, les équipes et l’énergie déployés autour du musée ne correspondaient plus à ce que nous souhaitions accomplir. Le succès du musée nous faisant hésiter, nous avons pensé à une manière d’étendre son propos, en réfléchissant sur l’impressionnisme au sens large. Lorsque nous avons eu la possibilité de créer ce partenariat avec le département de l’Eure, le Conseil régional ainsi que le Musée d’Orsay, nous y avons vu la chance de développer le musée, tout en poursuivant notre mission plus activement à travers l’Europe.
Le Terra Museum à Chicago a fermé ses portes en 2004, sur décision de son conseil d’administration. Daniel Terra avait fondé les deux musées avant sa mort en 1996. Comment, selon vous, aurait-il réagi à ces fermetures ? N’aurait-il pas été déçu ?
Je n’en suis pas certaine. Avant sa mort, les discussions allaient déjà bon train sur une possible fermeture du musée de Chicago au profit de celui de Giverny. Du vivant de Daniel Terra, l’art américain ne suscitait pas le même intérêt qu’aujourd’hui. Il était un pionnier et il serait fier de voir que ses efforts ont payé. Il s’était également interrogé sur la pertinence d’ouvrir un bureau à Tokyo pour toucher un plus large public asiatique. Il est à cet égard nécessaire de réfléchir à la nature et au rôle d’un musée. Daniel Terra ne souhaitait pas d’un musée au long cours, mais d’un lieu qui corresponde à son but à un moment précis, une première étape dans un long processus. Alors qu’un musée au sens propre fait partie intégrante de la communauté.
Pourquoi avoir choisi Paris pour votre quartier général ?
Nous avions pensé à Londres, Berlin, Rome et même à l’Espagne. Mais plus nous y réfléchissions, plus il nous semblait évident que Paris était l’endroit idéal. Nous avions déjà de formidables équipes sur place depuis des années. Sa situation centrale nous permet aussi d’œuvrer facilement dans le reste de l’Europe.
Depuis votre arrivée à la tête de la fondation, en 2004, avez-vous observé une évolution dans la perception de l’art américain à l’étranger ? Y-a-t-il encore beaucoup de travail à faire ?
L’intérêt des musées pour des projets autour de l’art américain a augmenté de manière exponentielle. Sans doute la vision de tableaux dans les expositions a-t-elle été source d’inspiration, et puis l’art américain est souvent une chose très nouvelle pour certains. Mais je dois dire que je suis la première surprise, et ravie, de voir cet intérêt grandir autant depuis 2001, date de mon arrivée à la fondation en qualité de directrice des deux musées. C’est également devenu une évidence au vu de la fréquentation du musée de Giverny. Si l’Europe occupe une grande place dans notre travail, nous avons trois projets d’expositions au Japon, et nous venons de contribuer à une large rétrospective sur l’art américain avec le Guggenheim qui a circulé à Pékin, Shanghai, Moscou et Bilbao. Nous avons de plus en plus de projets avec l’Asie, et l’Amérique latine est dans notre ligne de mire.
Quelle est votre politique d’acquisitions ? Disposez-vous d’un budget précis ?
Nous disposons d’un fonds établi par Daniel Terra, qui est consacré aux acquisitions et à la conservation de la collection. Avoir une collection nous permet d’être largement plus intégrés et actifs que si nous nous contentions de verser des subventions. Cela nous permet de faire partie du jeu, de démarrer des projets en prêtant cinq ou six tableaux, ou encore de procéder à des échanges avec des musées. Avec notre conservateur à Chicago, nous avons préétabli un projet de collection, en accord avec notre comité d’acquisitions. Ces dernières années, nous avons décidé de renforcer nos fonds de tableaux de l’époque de la Guerre de Sécession et des années 1920 et 1930. Nous avons dernièrement fait l’achat 5 ou 6 tableaux, dont un superbe John Merrin, Brooklyn Bridge, de 1934. Nous essayons d’acheter des œuvres « résistantes », qui soient prêtes à voyager dans le cadre d’expositions.
Les fondations américaines payent le prix de la crise économique actuelle, en annulant des subventions et en licenciant du personnel. Comment la Fondation Terra fait-elle face ?
Nous avons perdu de l’argent, comme tout le monde. Mais grâce à de bons placements immobiliers, notamment, et à notre très bon comité de gestion, notre budget pour l’année prochaine sera le même que cette année. Nous en sommes ravis car nous sommes témoins des besoins qui nous entourent. Plusieurs musées nous ont déjà contactés pour annuler des demandes de subventions car leurs expositions étaient annulées. Parfois, nous avons pu contribuer un peu plus que prévu, pour des expositions qui étaient vraiment en phase avec notre mission.
Que pensez-vous de la décision du Président Obama d’investir autant dans les arts et la culture, par le biais du National Endowment for the Arts (NEA) et du National Endowment for the Humanities (NEH) ? Le financement des arts doit-il rester dans la sphère privée?
Je pense que notre système alliant fonds publics et privés est très sain. Je suis ravie que le Président et Mme Obama reconnaissent l’importance de la culture et que les budgets du NEA et du NEH soient revus à la hausse. Mais pour un pays aussi riche, aussi dynamique et doté d’autant de talents artistiques, ces budgets sont encore dérisoires et j’aimerais vraiment que l’accent soit porté sur les arts et la culture. À l’image d’autres fondations qui travaillent en partenariat avec le NEH et le NEA – et il y a tant de choses à faire qu’il y a de la place pour tout le monde –, nous participons, à Chicago, à un projet de la NEH baptisé Picturing America. C’est une série de posters figurant des tableaux représentant des scènes de l’histoire américaine, qui sont distribués dans les écoles publiques et les bibliothèques à travers le pays. Nous y contribuons en finançant des formations pour que les professeurs utilisent ces images au mieux. Nous envions bien sûr le système européen qui subventionne très largement la culture, mais nous reconnaissons aussi la valeur du soutien individuel, que ce soit à titre personnel ou au travers de fondations, grâce à notre système fiscal.
Nombre de musées privés américains ont vendu des chefs-d’œuvre de leurs collections pour investir dans de l’art contemporain ou rester à flot. Quelle est votre opinion sur le deaccessionning ?
Si l’on vend une œuvre pour affiner la collection, et que l’argent obtenu est réinvesti dans l’achat d’une œuvre de plus grande qualité, alors d’accord, car on évite d’avoir une collection trop statique. Mais si c’est pour résoudre des problèmes financiers, alors non. C’est une solution à court terme à un problème de longue haleine. Je suis entièrement pour les recommandations données par les diverses associations américaines des musées et je pense que le deaccessionning doit rester une solution de dernier recours.
Quelle est la nature de vos relations avec Frame (le French-American Museum Exchange) ?
Quelle formidable organisation que Frame ! Il y a beaucoup de pays qui envient cette relation privilégiée entre musées français et américains et aimeraient s’en inspirer. Notre travail n’est pas le même mais il est proche car nous avons des connexions transatlantiques et nous nous voyons un peu comme des organisations sœurs. Nous avons eu l’occasion de soutenir nombre de leurs expositions, comme « Visions de l’Ouest » ou « Repartir à zéro ».
Votre travail à l’étranger implique-t-il une coordination avec les ambassades américaines ?
Nous avons obtenu l’aide des ambassades chaque fois que nous l’avons sollicitée. En France, l’ex-ambassadeur Craig Stapleton et son épouse ont beaucoup fait pour nous amener des visiteurs à Giverny, parmi lesquels l’ancienne première dame Laura Bush, en y organisant des dîners et des événements en tout genre, et en nous invitant à l’ambassade. Notre mission n’a aucune dimension politique, mais nous apprécions toujours une telle marque de soutien. C’est un symbole très fort.
Une exposition vous a-t-elle marquée récemment ?
« Art of two Germanies/Cold War Cultures » au Los Angeles County Museum of Art. L’art allemand des années 1930 à nos jours y était montré d’abord en deux entités séparées, art de l’Est et art de l’Ouest, puis comme une seule entité. J’ai été fascinée de voir les différences et les simitudes, sans doute parce que je suis intéressée par le dialogue transculturel. Il était surtout très intéressant de voir les racines des artistes est-allemands, et aujourd’hui allemands, comme A. R. Penck, qui n’avaient rien à voir avec celles des artistes ouest-allemands. J’ai également été séduite par « La Force de l’art 02 », et le nombre d’artistes contemporains qui travaillent en collaboration. Enfin, à la National Gallery of Art de Washington, « George de Forest Brush : The Indian paintings », un spécialiste de la vie indienne passé par l’atelier de Gérôme. Son travail est une vraie découverte, même pour le public américain.
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Elizabeth Glassman, présidente de la Terra Foundation for American Art
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°305 du 12 juin 2009, avec le titre suivant : Elizabeth Glassman, présidente de la Terra Foundation for American Art