Grâce à une analyse aux rayons X, dix-sept œuvres de Van Gogh ont été découvertes derrière d’autres peintures de l’artiste. Après avoir radiographié l’ensemble des toiles de jeunesse de Van Gogh en leur possession, les spécialistes du Musée Van Gogh d’Amsterdam ont découvert que nombre d’entre elles avaient été utilisées plusieurs fois, sans doute pour des raisons d’économie.
AMSTERDAM - Jamais examen scientifique d’une telle ampleur n’avait été mené sur une partie aussi importante de l’œuvre de Van Gogh. Pas moins de cent trente tableaux ont en effet été radiographiés dans les locaux du Musée Van Gogh, par le laboratoire Röntgentechnische Dienst de Rotterdam. Les résultats et les images révélées grâce aux rayons X seront publiés dans le Van Gogh Museum Journal, dont le premier numéro doit paraître ce mois-ci.
Quelques résultats préliminaires portant sur cinq radiographies avaient été communiqués l’année dernière, mais le conservateur, Sjraar Van Heugten, estime aujourd’hui que les résultats d’ensemble jettent une lumière nouvelle sur les sujets abordés par l’artiste, ses méthodes de travail et son évolution première." Il espère que ceux-ci encourageront d’autres institutions à radiographier les œuvres de Van Gogh qu’elles possèdent.
Les tableaux examinés ont été peints par l’artiste à La Haye, Drenthe, Nuenen, Anvers et Paris, avant son départ pour la Provence. Dans deux cas, des stades antérieurs de la composition finale sont apparus à la radiographie, mais dans dix-sept autres cas, des images totalement différentes ont été découvertes. Malheureusement, la radiographie des toiles où Van Gogh a multiplié les empâtements pour les besoins de son œuvre définitive ne donne pas d’aussi bons résultats. Par exemple, des traits de brosse appartenant à une œuvre antérieure apparaissent sous une Nature morte aux fruits, mais l’épaisseur de la couche picturale interdit d’y déceler une œuvre avec précision.
Des filles des rues pour modèles
Van Gogh vivait des subsides que lui versait son frère Théo et se plaignait constamment de problèmes financiers : la réutilisation de ses toiles aurait donc été pour lui une façon d’économiser de l’argent. Une toile a même été réutilisée trois fois : une nature morte représentant deux corbeilles de pommes de terre dissimule la représentation d’un berger avec son troupeau, celle-ci étant venue recouvrir une femme filant au rouet.
Trois autoportraits réalisés à Paris sont particulièrement intéressants, chacun d’eux ayant été exécuté par-dessus un portrait de femme. Peu avant d’arriver à Paris, Van Gogh écrivait dans l’une de ses lettres d’Anvers : Pour l’amour de Rubens, je recherche un modèle blond." Précisément, le premier autoportrait, le représentant fumant la pipe, recouvre le portrait d’une femme blonde, probablement de mœurs dissolues", selon Van Heugten. Le second, en chapeau de feutre noir, est peint par-dessus un nu debout, sans doute un modèle de l’atelier Cormon, où Van Gogh a étudié peu de temps après son arrivée à Paris.
Le troisième autoportrait, avec sa pipe et un verre de vin, recouvre une étude intimiste représentant une femme souriante, le sein gauche dénudé et le sein droit recouvert par un châle. Ses cheveux bruns relevés et la forme de sa bouche ressemblent à ceux d’un autre modèle nu, qui figure sur une toile érotique aujourd’hui à la Fondation Barnes. Il s’agit encore très probablement d’une prostituée parisienne. Le peintre Émile Bernard raconte d’ailleurs que son ami Van Gogh avait un jour recruté une fille des rues" pour poser.
Un signe de mauvais augure
Une autre femme, cachée" sous le portrait d’Augustine Segatori, la patronne du Café Tambourin, est encore plus mystérieuse. La radiographie de ce tableau a en effet révélé un buste de femme au visage rond, aux lèvres pleines et aux cheveux courts. Ce premier portrait a été partiellement gratté et la toile a été réutilisée, au mois de février 1887, pour peindre Segatori. Cette fois, la décision de Van Gogh pourrait être d’ordre symbolique : il aurait eu une brève liaison avec la propriétaire du café, ce qui l’aurait amené à effacer l’image d’une ancienne femme et à la remplacer par celle de sa nouvelle maîtresse.
L’analyse aux rayons X a également conduit à la découverte d’une importante nature morte perdue", dont on savait qu’elle avait été exécutée au mois d’avril 1885, juste une semaine après la mort du père de Van Gogh. Connue grâce à une petite esquisse en couleurs donnée à Théo, elle représente un vase empli de monnaies-du-pape, placé à côté de la blague à tabac et de la pipe paternelles. Cette nature morte a été découverte sous la représentation d’une corbeille de pommes, peinte en septembre de la même année, mais la radiographie a révélé une différence notable avec l’esquisse donnée à Théo : il y manque en effet quelques monnaies-du-pape tombées autour de la pipe. Évoquant les raisons pour lesquelles Van Gogh aurait recouvert ce tableau, Van Heugten suggère que le peintre a dû y voir un signe de mauvais augure".
Changement d’attribution
Enfin, une œuvre de la collection du musée a changé d’attribution. Il s’agit d’une nature morte avec une bouteille de vin, deux verres et une assiette, longtemps en possession de la famille Van Gogh et considérée, pour cette raison, comme authentique. L’analyse aux rayons X a montré qu’elle avait été peinte sur un portrait de femme manifestement exécuté par un autre artiste. Bien qu’il soit possible que Van Gogh ait réutilisé la toile d’un ami peintre, le musée a préféré ôter cette œuvre de son catalogue.
Le Van Gogh Museum Journal (Édition Waanders, à Zwolle, parution annuelle, 150 florins, soit 450 francs environ) comporte aussi l’analyse de l’album de poésies donné à Lies, la sœur du peintre ; une étude sur la peinture qui a inspiré le sermon de Van Gogh dans l’église méthodiste de Richmond, par George Boughton ; un compte-rendu des problèmes rencontrés par le neveu de l’artiste, le Dr Vincent Willem Van Gogh, pour l’aménagement du musée d’Amsterdam ; et un catalogue des récentes acquisitions du musée.
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Dix-sept Van Gogh resurgissent
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°20 du 1 décembre 1995, avec le titre suivant : Dix-sept Van Gogh resurgissent