Une quinzaine de tableaux de maîtres a été retrouvée le 15 mai dans un coffre d’une banque zurichoise. L’ancien responsable nazi Bruno Lohse, décédé le 21 mars, est au cœur de l’affaire
ZURICH - Combien d’années faudra-t-il encore pour percer tous les secrets qui entourent les spoliations d’œuvres d’art orchestrées par les nazis ? Le 15 mai, agissant sur commission rogatoire de l’Allemagne et du Liechtenstein, le procureur zurichois Ivo Hoppler a donné l’ordre d’ouvrir le coffre n°5 dans les sous-sols de la Banque Cantonale de Zurich, sur la Bahnhofstrasse. Sy retrouvaient en tout quatorze tableaux, signés Albrecht Dürer, Jan van Kessel, Claude Monet, Camille Pissarro, Pierre-Auguste Renoir, Alfred Sisley et Oscar Kokoschka. Les œuvres n’ont pas quitté le coffre blindé, où elles se trouvent sous séquestre en attendant une expertise officielle. Chacune de ses peintures vaudrait plusieurs millions d’euros.
Le dépôt du Jeu de Paume
L’affaire commence en décembre 2006 à Zurich lorsque deux hommes approchent l’unique héritière de l’éditeur d’art Samuel Fischer avec une photographie récente d’un tableau de Camille Pissarro. Quai Malaquais, printemps (1903) trônait dans la salle à manger de Samuel Fischer à Vienne jusqu’à son départ précipité vers l’Italie en 1938, au moment où les troupes nazies entraient triomphalement dans la capitale autrichienne. La famille avait depuis tenté de retrouver l’œuvre, sans succès. Le duo – le galeriste munichois Peter Griebert et l’historien d’art américain Jonathan Petropoulos – a offert à la descendante Fischer de lui revendre la toile moyennant une confortable commission de 18 % sur la valeur du tableau, soit plus de 3 millions d’euros. Demandant un délai de réflexion, l’héritière a fini par déposer plainte pour chantage devant le parquet de Munich, qui lance une enquête pour escroquerie. Au même moment, un cabinet fiduciaire de Vaduz dénonçait une fondation sous sa gestion, la Schoenart Anstalt. Après enquête de la justice du Liechtenstein, les inventaires de la fondation font apparaître une liste d’œuvres d’art spoliées à des familles juives pendant la Seconde Guerre mondiale.
Le nom d’un seul homme est au cœur de ses deux enquêtes : Bruno Lohse, fondateur de la Schoenart Anstalt et décédé le 21 mars à l’âge de 95 ans. La clé du coffre n°5 de la Banque Cantonale de Zurich se trouvait au cabinet fiduciaire de Vaduz, et Peter Griebert avait une procuration pour l’emprunter. Ce dernier s’en serait servi à plusieurs reprises, allant jusqu’à prendre les mesures des tableaux, dont certains auraient quitté le coffre. Historien et marchand d’art réputé, Bruno Lohse est tristement célèbre pour avoir occupé un poste à la direction de l’Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg (ERR), l’agence d’Alfred Rosenberg chargée de saisir les œuvres d’art aux juifs, où il a agi pour le compte d’Hermann Göring dès 1941. Le mot d’ordre était de confisquer toute œuvre d’art dite « dégénérée » pour ensuite l’échanger à des marchands afin d’obtenir les œuvres désirées et constituer le Musée du Führer à Linz, mais aussi la collection personnelle d’Hermann Göring. Bruno Lohse a notamment travaillé à Paris où les objets saisis étaient rassemblés au Jeu de Paume, catalogués et soumis à Göring. Si toutefois une œuvre ne plaisait pas au successeur désigné d’Hitler, ses agents pouvaient la conserver pour leur bénéfice personnel. Lors du procès de Nuremberg, Bruno Lohse a été condamné à 10 ans de prison ferme. Une fois purgée sa peine, il avait tranquillement repris ses activités de marchand d’art à Munich.
L’enquête étant en cours, il n’est pas encore possible de certifier que ces œuvres correspondent aux chefs-d’œuvre recherchés, mais il est vraisemblable que le Quai Malaquais, printemps de Camille Pissarro fait partie du lot. Ivo Hoppler a en effet confirmé l’origine d’au moins un tableau parmi les quatorze. Le plus étonnant est que l’historien d’art américain Jonathan Petropoulos, qui a tenté de soutirer une commission à l’héritière Fischer pour le tableau de Pissarro, n’est autre que l’auteur de The Faustian Bargain (le marché faustien), ouvrage paru en 2000 qui relate en détails les activités de Bruno Lohse et du réseau de marchands d’art qui ont collaboré avec les nazis. Il y stigmatise notamment la facilité avec laquelle tous ces acteurs ont pu, sans inquiétude, poursuivre leur carrière de marchand d’art après la chute du Troisième Reich. L’historien n’est pas, pour l’instant, inquiété par la justice.
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Des trésors au coffre
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°262 du 22 juin 2007, avec le titre suivant : Des trésors au coffre