Aline Pujo, la présidente de l’association internationale des conservateurs de collections d’entreprise commente les modes d’acquisition et la présence des artistes de la scène française.
Aline Pujo a créé et développé de 1988 à 1995, à la Caisse des dépôts et consignations les collections d’artistes français, de photographies et le programme Art & architecture, avant de devenir le conservateur de 1997 à 2012 de la collection de photographies et de vidéos de la banque Neuflize OBC (Collection Neuflize Vie). Historienne de l’art, Aline Pujo préside aujourd’hui le IACCCA, International Association of Corporate Collections of Contemporary Art qui fédère les conservateurs de trente-neuf collections d’entreprise parmi les plus prestigieuses au monde, dont six françaises : la Fondation Carmignac (dernière adhérente), la Fondation Cartier pour l’art contemporain, HSBC France, Neuflize Vie, la Société Générale et Norac.
Les collections d’entreprises françaises soutiennent-elles la scène artistique hexagonale ?
Chaque collection mérite une réponse tant les pratiques divergent de l’une à l’autre. Il n’y a pas de contingence. Une collection naît de la volonté d’un patron qu’il soit à la tête d’un groupe ou d’une PME. C’est lui qui décide, légitime et fait en sorte que la collection existe. Dans le cas des collections qui s’affichent d’emblée comme des collections nationales, il est intéressant de considérer l’évolution du sens contenu par le qualificatif « nationale » pris auparavant de manière stricto sensu. Depuis une quinzaine d’années, cette notion en France, comme ailleurs, s’est largement ouverte aux artistes qui vivent sur le territoire national ou qui y sont passés ou qui ont une relation, un projet avec ce territoire. Car il a été admis progressivement que les artistes ne sont pas attachés généralement à valoriser une nationalité. Ce n’est pas leur propos. Les artistes de nos jours s’inscrivent dans une itinérance, une mobilité désormais bien intégrée. L’époque n’est pas si lointaine où un artiste précisait dans sa biographie qu’il vivait dans trois ou quatre capitales dans le monde. Cette mode est révolue. Maintenant, les artistes ont des résidences et des modes de travail qui ont fait de la terre une petite planète.
Les achats ne concernent-ils pas généralement les valeurs sûres du marché que l’on retrouvera d’ailleurs dans d’autres collections ?
Tout dépend des collections, et là encore on ne peut pas faire de réponses généralistes. La collection de la Caisse des dépôts et consignations que j’ai créée rassemblait deux collections : l’une axée exclusivement sur la scène artistique française et constituée de valeurs sûres comme de jeunes artistes ; l’autre, donnée au Centre Pompidou en 2006, était concentrée uniquement sur la photo. Pour cette dernière, nous avions fixé un barème d’achat. Le prix ne devait pas dépasser les 25 000 francs; pouvoir d’achat qui, en 1998, compte tenu de l’érosion monétaire équivaut à 4806 euros en 2012., ce qui orientait nos achats vers la photographie émergente. On était très soucieux de repérer les mouvements, les nouvelles tendances en France comme à l’étranger.
Pour une entreprise, l’acte même de collectionner et ses choix ont-t-ils évolué ?
Au début d’un certain nombre de collections européennes, les risques pris étaient plus importants qu’aujourd’hui ; leur patron travaillait juste en tandem avec une personnalité du milieu de l’art et lui faisait confiance. Je pense à la collection du groupe belge Lhoist créée par son dirigeant Jean-Pierre Berghmans et Jacqueline d’Amécourt, (NDLR conservateur de la collection de 1989 à 2012). Aujourd’hui, les collections, surtout celles attachées à un groupe important, constituent un comité de sélection car leurs dirigeants ont besoin d’être rassurés. Quand la collection est placée sous la direction du service de la communication – voire que le directeur de la communication siège au comité de sélection –, cela induit des choix.
Quelles sont les différences entre collection particulière et collection d’entreprise ?
La collection d’entreprise se trouve à mi-chemin entre la collection de musée et la collection privée. Par rapport au musée, elle profite de plus de liberté car elle peut se constituer sans de véritables règles ; elle n’a pas les mêmes obligations, ni les mêmes comptes à rendre. En revanche, cette latitude est limitée car ce n’est pas une personne ou un couple qui décide ; la collection doit vivre dans le temps et être acceptée, incorporée dans la culture d’entreprise et dans les espaces de travail.
La scène française commence-elle à être mieux représentée dans les collections d’entreprise étrangère ?
Non, bien que les énergies multiples déployées fassent que, malgré tout, les artistes français commencent à avoir plus de visibilité. Nous payons des années de politiques culturelles à l’étranger. Ceux qui se sont donné une notoriété internationale sont des artistes qui ont vécu à l’étranger.
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« Des pratiques divergentes »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°402 du 29 novembre 2013, avec le titre suivant : « Des pratiques divergentes »