Les acquisitions des musées territoriaux, si elles restent soutenues en 2007,
sont très souvent le fruit d’opérations complexes croisant les financements.
C’est sans conteste l’opération de l’année 2007. L’achat de La Fuite en Égypte de Nicolas Poussin, classée trésor national, pour la somme de 17 millions d’euros, restera dans les annales à la fois par son montant, rare pour un musée territorial, mais aussi par la manière dont s’est déroulée l’acquisition. Elle est, en effet, un rare exemple d’accord entre musées – le Louvre a versé 600 000 euros sur son budget –, État et collectivités locales, avec une vingtaine d’entreprises mécènes, afin de parvenir à empêcher la vente à l’étranger de cette peinture. Contrairement à ce qui était prévu initialement – une inscription sur les registres du Musée du Louvre, mais un dépôt à Lyon –, le tableau va faire l’objet d’une procédure de transfert très rapide permettant de l’inscrire sur les inventaires du Musée des beaux-arts de Lyon. Pour Sylvie Ramond, la directrice de l’institution, cette opération exceptionnelle a aussi été bénéfique pour sa politique d’acquisition, en lui procurant l’occasion de renouer des liens avec les collectionneurs locaux. Outre le Poussin, le musée s’est notamment enrichi d’un très beau relief de cavalier parthe du IIe siècle provenant de Doura Europos (Syrie), acquis pour 30 000 euros chez un galeriste parisien, mais aussi de trois dessins de Jean Fautrier et un très bel ensemble de vitraux dus à Auguste Morisot et provenant d’un appartement lyonnais. « Les acquisitions sont un élément incitatif très fort pour faire revenir le public », explique ainsi Sylvie Ramond, qui a fait de cet axe un élément majeur de la politique de son musée. Encore faut-il en avoir les moyens.
Du côté du Palais des beaux-arts de Lille, autre grand musée territorial, Alain Tapié peut se féliciter d’avoir enrichi ses collections de trois œuvres importantes pour la somme totale de 310 000 euros, dont un tiers de crédits municipaux. Cette enveloppe lui a permis d’acquérir le Plat de reliure de Dormeuil (vers 1200), bel exemple de l’émaillerie limousine médiévale, venant renforcer la collection d’objets d’art, mais aussi un dessin de Lagrenée et un Ecce Agnus Dei de Bacciccia. « Nous sommes toujours contraints à l’exploit », précise toutefois Alain Tapié, qui monte à chaque fois des opérations croisant les financements de l’État, par le biais du fonds du patrimoine, des collectivités et de quelques mécènes. Au Musée Fabre de Montpellier, la communauté d’agglomération a octroyé 250 350 euros, complétés par un apport en mécénat, pour l’achat en vente publique, à New York, d’un tableau de François-Xavier Fabre.
En matière de mécénat, un musée s’est particulièrement illustré en 2007 : le Musée des beaux-arts de Tours. Celui-ci poursuit sa politique d’enrichissement privilégiant l’école picturale tourangelle et vient de s’offrir un trésor national. Deux panneaux de diptyque sur bois datés vers 1480, Le Christ bénissant et Vierge en oraison, ont ainsi été achetés exclusivement grâce au mécénat d’une entreprise poitevine, PGA Holding, pour la coquette somme de 700 000 euros, défiscalisable à 90 % grâce au dispositif propre à l’achat d’un trésor national. Enfin, preuve supplémentaire de l’importance des expositions temporaires dans la vie d’un musée, une toile de Henri de Favanne ayant servi de modèle pour un décor du château de Chanteloup (Touraine) a pu être acquise lors de la préparation de l’exposition consacrée à ce lieu disparu.
Fortifier les fonds
Connu lui aussi pour sa politique dynamique en matière d’acquisition, le Musée des beaux-arts et d’archéologie de Valence, s’il a quelque peu mis en sommeil cette activité pour cause de projet de rénovation, a tout de même acquis une très étonnante toile de Joseph Franque pour un montant de 80 000 euros, grâce à l’aide de l’État et du Fonds régional pour l’acquisition des musées (FRAM). D’autres établissements parviennent à convaincre pour acquérir des pièces importantes au gré des opportunités. Ainsi, au Musée des beaux-arts de Pau, où Guillaume Ambroise, son conservateur, qui jouit d’ordinaire d’un budget de 60 000 euros, a pu enrichir son établissement, lui aussi grâce au FRAM, d’une toile de Giulio Carpioni, achetée de gré à gré 140 000 euros. « Cette œuvre vénitienne vient fortifier notre fonds ancien qui était jusque-là sous-estimé », explique le conservateur. Ce dernier n’a toutefois pu bénéficier d’aucun mécénat d’entreprise – Total est pourtant implanté dans la région. « Hormis pour les trésors nationaux, peu d’entreprises souhaitent financer l’achat d’œuvres », déplore-t-il. Le Musée des beaux-arts de Dijon a donc réussi un bel exploit pour sa première opération de mécénat, en mobilisant l’entreprise Autoroutes-Paris-Rhin-Rhône afin de s’offrir une sculpture de Rude, Louis XIII enfant, venant conforter le fonds de cet artiste dijonnais conservé au musée. Une autre institution, appuyée par sa société d’amis, a pour sa part innové en relançant le principe de la souscription publique. Il s’agit du Musée des beaux-arts de Nancy, qui a lancé une opération d’envergure en novembre 2007 visant à réunir les 475 000 euros nécessaires à l’achat d’une œuvre de Claude Gellée dit Le Lorrain, dont le musée ne conservait qu’un seul tableau. Affaire à suivre en 2008…
Musée des beaux-arts de Lyon
- Nicolas Poussin (1594-1665), La Fuite en Égypte, 1657 ou 1658, huile sur toile, acquisition de gré à gré, financement Etat, collectivités et mécénat, 17 millions d’euros.
Musée des beaux-arts de Tours
- Christ bénissant et Vierge en oraison, vers 1480, trésors nationaux, achat en galerie grâce au mécénat de PGA Holding, 700 000 euros.
- Henri de Favanne (1668-1752), La bataille d’Almança, 1714, huile sur toile acquise en vente publique grâce à la générosité de l’Association des Amis de la Bibliothèque et du Musée des beaux-arts de Tours et d’un mécène, 29 700 euros.
Musée Fabre, Montpellier
- François-Xavier Fabre (1766-1837), Edgar Clarke, huile sur toile, 1802, achat en vente publique, financement Montpellier Agglomération, FRAM et mécénat Rambier Immobilier, 310 385 euros.
Palais des beaux-arts de Lille
- Plat de reliure de Dormeuil, cuivre champlevé, émaillé, doré et ciselé, Limoges, vers 1200, achat en vente publique, financement Ville de Lille, fonds du patrimoine, FRAM et mécénat du Crédit du Nord, 192 000 euros (hors frais)
- Giovanni Battista Gaulli dit il Bacciccia ou il Baciccio (1639 – 1709), Ecce Agnus Dei, seconde moitié du XVIIe siècle, achat en galerie, 60 000 euros.
Musée des beaux-arts de Pau
Giulio Carponi (1613-1679), Liriopé présentant Narcisse à Tirésias, huile sur toile, achat au cabinet Bréton-Blondeau, avec l’aide du FRAM, 140 000 euros.
Musée des beaux-arts et d’archéologie de Valence
- Joseph Franque (1774 – 1833), Hercule arrachant Alceste des enfers, 1806, huile sur toile, achat avec l’aide de l’État et de la Région dans le cadre du FRAM, 80 000 euros.
Musée des beaux-arts de Dijon
François Rude (1784-1855), Louis XIII enfant, bronze, achat en galerie grâce au mécénat d’APRR, prix : n. c.
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Condamnés à l’exploit
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°281 du 9 mai 2008, avec le titre suivant : Condamnés à l’exploit