Christian Ghion n’est pas un solitaire. Lorsqu’on va le voir dans son atelier tapi au fond d’une enfilade de cours à Ménilmontant, des gens, souvent designers comme lui, n’arrêtent pas d’y passer la tête, soit pour lui montrer leur travail, soit pour des conseils.
Cet intérêt pour les autres, cette générosité – chose extrêmement rare dans le monde du design français où c’est encore la « griffe » qui compte plus que tout, où l’individualité prévaut – remonte probablement aux nombreuses années passées d’abord comme étudiant puis comme professeur à l’E.C.M. (École de Création de Mobilier), cette petite école d’architecture de Charenton où ont enseigné, entre autres, Martine Bedin, Gilles Derain, Pierre Staudenmeyer, Marie-Christine Dorner... C’est là aussi qu’il rencontre Patrick Nadeau avec lequel il va former pendant dix ans un duo, qui signe des meubles drôlatiques aux volutes surdimensionnées. Pour réagir contre un certain fatalisme régnant sur le jeune design français qui a bien du mal à garder la tête hors de l’eau, Ghion s’agite avec bonheur, multiplie les rencontres, organise divers événements pour impliquer et fédérer un peu tous ces créateurs souvent en roue libre. Il organise ainsi l’exposition « Richesse et Pauvreté » en 1997 à la galerie Backstage, section « off » du Salon du Meuble de Paris. Puis, avec Nestor Perkal, autre magicien des rencontres, il présente l’exposition très remarquée « Vie en rose », sorte d’hymne aux vases, à la Fondation Cartier. Enfin l’opération « Sommer Time » en janvier 1999 où, avec Olivier Védrine, il demande à douze créateurs dont Ronan Bouroullec (L’Œil n°509), Pierangelo Caramia, Éric Jourdan, Nestor Perkal ou Chistophe Pillet (L’Œil n°492), de dessiner les motifs d’une moquette. Devant son succès l’opération va se renouveler en janvier 2000, toujours pour la firme Sommer, avec douze nouveaux créateurs. Depuis deux ans, Christian Ghion, travaille seul. Son style est toujours aussi organique et sensuel, mais plus dépouillé. La chaise H.A.N., très sobre et élégante, qui est éditée au Japon par le groupe IDEE, en est un exemple. Par ailleurs Ghion s’est abandonné à sa passion pour les vases. Il en fait de toutes sortes, des plats comme des galets, des ajourés au long col pour la ligne Roset de la collection Cinna/Roset. Le vase Ego peut d’ailleurs se détacher en deux parties et former deux objets différents. On touche là à une préoccupation de Ghion qui aime ce qui peut se métamorphoser d’un rien. C’est le cas de la série de vases en verre qu’il expose à la galerie Néotu sous le titre d’« Inside Out ». Organiques en diable, cette fois-ci, ces grand vases transparents, parfois limpides, parfois opalescents ou opaques, parfois pétillants de bulles, ressemblent à de grosses ventouses ou à des champignons vénéneux, surtout lorsqu’ils sont rouges à pois blancs. Tous sont habités à l’intérieur par une cavité qui ressemble à une grosse goutte allongée, forme vide très érotique qui semble avoir été retournée de l’intérieur comme un gant. Le vase aussi peut se retourner et revêtir alors diverses autres fonctions : vase d’un côté, cendrier ou vide-poche de l’autre. Ou simple sculpture. Avec cette goutte qui flotte à l’intérieur, le vase devient la proie de jeux de transparences, de lumières, de perceptions aquatiques, de reflets et de déformations. Lorsque la forme est faite dans un « moule à bouillon » et que le verre en sort avec des bulles dans sa masse, ces nouvelle gouttes s’allongent et se distordent, insufflant beaucoup de vie à ces vases massifs et très arrondis, aux rebords ourlés comme de grosses lèvres ouvertes. Uniquement transparents, ou blancs, ou rouges, Ghion les a fait exécuter dans la plus importante verrerie industrielle de France, la verrerie de Vianne, près d’Agen, dont la spécialité était, dès les années 20, de faire des vases façon Gallé, et qui se consacre aujourd’hui au luminaire industriel. Bien qu’elle dispose de 30 fours industriels, ces vases sont pourtant soufflés à la main, et le travail de collaboration avec les verriers, parfois teinté d’incompréhension vite dépassée, a rendu l’expérience passionnante. Christian Ghion a indubitablement passé ces deux années « en solo » à travailler surtout sur des objets.
À quand du nouveau mobilier ?
PARIS, galerie Néotu, 18 novembre-11 décembre.
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Christian Ghion, l’élégance faite objet
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°511 du 1 novembre 1999, avec le titre suivant : Christian Ghion, l’élégance faite objet